Les Marinettes, héroïnes oubliées de la Seconde Guerre mondiale
Publié le 29/08/2024
Les hommes ne sont pas les seuls à répondre à l’appel du 18 juin. Parmi les femmes qui décident de s’engager dans la Résistance et de lier leur destin à celui de la France, une unité d’ambulancières est intégrée au régiment blindé de fusiliers marins (RBFM) de la 2e division blindée. Surnommées les Marinettes, elles se sont distinguées du Maroc à la Bavière, de la Normandie à la Libération de Paris. Pourtant leur engagement au service des blessés est injustement tombé dans l’oubli.

Le coeur battant, les Marinettes aperçoivent au loin les côtes normandes. Après de longs mois d’entraînements, enfin la France ! Une question demeure : dans quel état retrouveront-elles le pays pour lequel elles ont tout abandonné ? L’émotion est palpable lorsqu’elles foulent le sable beige d’Utah Beach, le 2 août 1944. Le soleil est étincelant, un marin a sorti son clairon, la Marseillaise résonne sur la plage.
LA GENÈSE D’UN ENGAGEMEN
Témara, Maroc, quelques mois plus tôt. La chaleur est étouffante. Sur le camp américain situé au sud-ouest de Rabat, Jacqueline Carsignol cherche des volontaires pour s’occuper des blessés de la 2e division blindée (2e DB). Deux soeurs se présentent, Monique et Jacqueline Bardet, âgées respectivement de 18 et 20 ans. Parties de Dakar, elles ont parcouru près de 3 000 kilomètres pour rallier les forces de la France libre. En dépit de leur jeune âge et de leur manque d’expérience, Jacqueline Carsignol les accueille les bras grands ouverts. Six autres femmes les rejoignent, Cécile de Jerphanion, Françoise La Chassagne de Polignac, Jeanne Andrei, Jacqueline Cadoret, Yolaine Dagnon et Marie-Louise Courbary. Parmi elles, Jacqueline Carsignol reconnaît une silhouette familière, celle de Cécile de Jerphanion avec qui elle était infirmière pour la Croix rouge sur le bateau-hôpital Canada, jusqu’en 1942. Les jeunes volontaires dépendent des services féminins de la flotte (SFF). Créés par la Marine pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ouvrent la possibilité aux femmes de s’engager dans la Marine ; mais l’objectif est avant tout de remplacer les hommes sur des postes sédentaires afin de leur permettre d’intégrer des unités combattantes. Sur le camp, les jeunes femmes sont formées à leur futur rôle d’ambulancière et reçoivent un grade d’officier ou d’officier marinier. L’enseigne de vaisseau de 2e classe Jacqueline Carsignol commande la compagnie, secondée par l’aspirant Cécile de Jerphanion. Françoise La Chassagne de Polignac est également aspirant tandis que les autres jeunes femmes perçoivent les deux chevrons dorés de second maître. Le 7 mai 1944, l’équipage est officiellement rattaché au régiment blindé de fusiliers marins (RBFM), une unité de la 2e DB. L’insigne des fusiliers marins est cousu sur la manche droite de leur veste M41, héritée de l’armée américaine, et les jeunes femmes portent sur la tête un bâchi sans pompon. Les fusiliers marins sont réticents à l’idée d’accueillir des femmes dans leurs rangs. Pour eux, la guerre est une affaire d’hommes. Pourtant, cette idée reçue est vite effacée par le courage et la bonté de ces ambulancières que les fusiliers marins vont surnommer « les Marinettes ».
APRÈS LE MAROC, CAP SUR L’ANGLETERRE
Le 20 mai 1944, les neuf Marinettes embarquent sur le navire britannique RMMV 1 Capetown Castle, et quittent les côtes africaines, direction l’Angleterre où la préparation du Débarquement s’intensifie. Là-bas, elles participent à des exercices militaires, apprennent l’ordre serré et à manoeuvrer leur future ambulance, un Dodge WC554 de trois tonnes. Sur le camp, elles échangent avec les Rochambelles et les Quackers qui forment les deux autres compagnies d’ambulancières de la 2e DB. Dans la nuit du 5 au 6 juin, des vrombissements de moteurs tirent les ambulancières de leur sommeil. Des dizaines d’avions volent au-dessus de leurs têtes, les Marinettes se doutent que l’heure pour elles de débarquer n’a pas encore sonné, mais que le moment de rejoindre la France est proche.
DE LA LIBÉRATION DE PARIS AU NID D’AIGLE D’HITLER
Le 2 août 1944, elles débarquent en Normandie et gagnent avec la division Leclerc le sud-ouest du Mans. Sous le feu ennemi, les Marinettes apportent les premiers secours aux blessés (pansements, sulfamides, hémostases, appareillages de fractures, injections tonicardiaques ou de calmants…), avant de les évacuer vers l’arrière à bord de leur ambulance. Pris en charge par la section de triage-traitement, les blessés se voient administrer des actes médico-chirurgicaux importants : révision des garrots, réanimations, transfusions… Ils sont ensuite envoyés vers un hôpital américain pour être soignés. Le 23 août, la 2e DB, soutenue sur son flanc droit par la US 4th Division, marche vers Paris. De violents affrontements ont lieu au sud de la capitale. Situées à l’extrême avant, les Marinettes multiplient les allers-retours dans la zone la plus dangereuse et tentent, au milieu des échanges de tirs, de soulager la douleur des combattants. Dans la nuit du 24 août, les premiers soldats de la division Leclerc entrent dans Paris. Les cloches de Notre- Dame sonnent. Le 25 août, Paris est libérée, mais le bilan est lourd pour la 2e DB : 156 tués et 225 blessés. Au milieu des blessés et des mourants, les Marinettes impressionnent par leur sang-froid et leur dévouement. Pas question de s’arrêter à Paris, elles poursuivent les campagnes de Lorraine et d’Alsace. Après plusieurs jours de luttes intenses, elles ont la joie de voir « nos belles couleurs » flotter sur la cathédrale de Strasbourg. 2 Les Marinettes garderont un souvenir impérissable de l’accueil des Alsaciens. Faute de renforts et de ravitaillements, la 2e DB ne peut franchir le Rhin. En mai 1945, la division Leclerc est rattachée à la 7e armée américaine et reprend sa percée vers l’Est. Les Marinettes franchissent les Vosges et traversent le Rhin jusqu’en Bavière. La prise de Berchtesgaden, le nid d’aigle d’Hitler, le 8 mai 1945, sera l’ultime combat de la 2e DB, signant la fin du périple des Marinettes.
ÉPILOGUE
De retour en France, il devient difficile de suivre la trace de toutes les Marinettes, la plupart se marieront et commenceront une nouvelle vie. Certaines, néanmoins, poursuivront leur engagement en Indochine comme Jeanne Andrei et Monique Bardet. De retour d’Asie, cette dernière se consacra au métier d’attachée de presse au sein de l’Agence France-Presse à Dakar. Après son mariage avec Pierre Crémieux et l’éducation de leurs deux fils, Monique a oeuvré pour l’émancipation des femmes sénégalaises. Diplômée d’un brevet de pilote et navigateur, Cécile de Jerphanion sera la première chef hôtesse de l’air sur Air France. Elle épousera à Dakar Jean Brunet, médecin général de la 2e DB, rencontré en Angleterre. Ils auront deux filles. Les liens noués entre les Marinettes subsistent après la guerre, les jeunes femmes se retrouvent souvent à Strasbourg, le 23 novembre, pour fêter l’anniversaire de la libération de la ville. La dernière Marinette, Monique Bardet (épouse Crémieux) s’est éteinte le 27 avril 2010. La Marine a choisi de baptiser « Jacqueline Carsignol » l’un des futurs patrouilleurs hauturiers afin de rendre hommage à l’engagement des Marinettes.
1 Royal Mail Motor Vessel, tr. Navire à moteur du service postal britannique (Royal Mail).
2 Le 2 mars 1941, dans le désert libyen, le général Leclerc avait déclaré lors du serment de Koufra : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs, nos belles couleurs, flotteront sur la cathédrale de Strasbourg. »