Un 6 juin, à Colleville-Montgomery
Publié le 01/08/2023

Depuis quinze ans, l’École des fusiliers marins organise, chaque 6 juin, en Normandie, l’une des cérémonies qui rythment son année scolaire. Celle-ci s’inscrit dans le cadre des commémorations du Débarquement et se tient alternativement sur les communes de Ouistreham et de Colleville-Montgomery. C’est devant la plage de cette dernière que les fusiliers marins se retrouvent ce matin du 6 juin 2023. En plus des élèves, des détachements du Commando Jaubert et du Commando Kieffer se rassemblent, sous les armes, autour du drapeau du 1er régiment de fusiliers marins. C’est également le rendez-vous des vétérans avec à leur tête Léon Gautier (*), dernier des 177 commandos qui ont débarqué sous les ordres du capitaine de corvette Philippe Kieffer le 6 juin 1944 à cet endroit précis.
OBJECTIF : LA NORMANDIE
À l’aube du 5 juin 2023, un convoi quitte la base des fusiliers marins et commandos située à Lanester (56). Ils sont un peu plus de 250 à prendre la route. Leur objectif : le gymnase de la ville de Ouistreham qui sera leur cantonnement pendant deux jours. Le second maître (SM) Xavier, élève au cours du brevet supérieur, est du voyage et nous fait part de ce que cela signifie pour lui : « Venir sur les plages du Débarquement, c’est respecter la tradition de nos anciens, c’est honorer leur mémoire. Être là un 6 juin, c’est un grand honneur pour tout fusilier marin. Et pour moi c’est aussi une satisfaction, en tant que chef de groupe, de transmettre cette histoire, cette richesse aux jeunes que nous encadrons. »
Après quelques heures de route, le cantonnement est installé. L’après-midi est consacré à l’incontournable répétition de la cérémonie. Les élèves sont rejoints par 21 stagiaires du stage commando no 159, en exercice de synthèse dans le secteur. Ils ont pu y découvrir la région d’un point de vue un peu similaire à celui de leurs anciens 79 ans plus tôt. Demain, ils recevront leur béret vert. L’un d’eux, le SM Evan, se confie : « Pour moi réussir le stage c’est d’abord un soulagement, surtout quand je fais le décompte de ceux qui ont dû abandonner ou ont été éliminés. C’était ma troisième tentative. Réussir signifie aussi qu’une porte s’ouvre et qu’une nouvelle aventure commence. » La cérémonie au cours de laquelle ils vont recevoir leur béret vert est présidée par le président de la République et en présence des plus hautes autorités de l’État, civiles et militaires, de leurs familles et des vétérans. « Il va y avoir beaucoup de monde, on a de la chance. C’est un grand honneur pour nous tous. », admet le matelot Bastien. « Tout à l’heure, on a croisé M. Léon Gautier. Quand on pense à ce qu’il a vécu, ça nous permet de relativiser. Les épreuves que nous avons subies lors du stage n’étaient au final pas comparables à ce que lui et ses camarades ont vécu. »
DERNIERS PRÉPARATIFS
Le 6 juin, avant le lever du soleil, tous s’affairent dans le gymnase. Il est temps de mettre la tenue de cérémonie et l’arme en sautoir. Il y a 79 ans, à la même heure, leurs anciens se préparaient à un autre événement, beaucoup moins festif. Quand on lui demande le lien qu’il voit entre la formation qu’il reçoit et ceux qui étaient ici en 1944, le SM Erwan, élève au cours du brevet d’aptitude technique, répond : « Avec notre formation, on a touché du doigt ce qu’ont vécu nos anciens. On ressent une ambiance un peu spéciale quand on vient ici et que l’on est fusilier marin. Plus jeune, j’ai déjà assisté à cette cérémonie et mon ressenti n’était pas du tout le même. C’est sans doute dû à la rusticité que l’on nous inculque, ça nous a changés. Le garçon que j’étais il y a 8 mois n’est plus le même aujourd’hui. »
REMISE DE BÉRETS
Il est 9 h, sur la place du Débarquement une première cérémonie débute. Elle est présidée par M. Sébastien Lecornu, ministre des Armées. Des décorations sont remises, dont la Croix de la valeur militaire, au Commando Jaubert. Enfin, les élèves du cours de quartier maître et matelot de la flotte no 75 se voient remettre leurs fourragères. Leur cours est baptisé du nom du matelot Emmanuel Le Masson, mort pour la France le 14 septembre 1918 au Moulin de Laffaux. Le « pistard », élève qui sert de lien avec les instructeurs, est le matelot Tom. Il explique sa motivation : « J’ai toujours voulu rejoindre la Marine et les fusiliers marins. C’était un rêve, c’est devenu un objectif. Je me suis d’abord engagé dans l’armée de Terre et me suis rendu compte que ce n’était pas ce que je voulais faire. Je suis donc reparti de zéro et j’ai rejoint la Marine, j’ambitionne maintenant de réussir le stage commando. »COLS BLEUS 3113 août-septembre 2023 — 33
Une seconde cérémonie commence. Le président de la République, M. Emmanuel Macron, accompagné de la Première ministre, Mme Élisabeth Borne, arrive sur les lieux. Ils se joignent à Léon Gautier et aux parrains des 21 élèves commandos pour leur remettre leur béret vert. Cette cérémonie se termine par un défilé. Une fois les autorités parties, tous regagnent le gymnase, ils y partagent un repas puis se répartissent sur les lieux de différentes commémorations, organisées dans la région l’après-midi. En fin de journée, ils prennent la route du retour. Dès le lendemain, ils reprendront les cours ou leurs missions au sein de leurs unités.
(*) Léon Gautier est décédé le 3 Juillet 2023.

3 questions au capitaine d vaisseau Sébastien Parisse, commandant l'École des fusiliers marins
Déplacer ces élèves et leur encadrement de Lorient à Colleville-Montgomery sur deux jours, n’est-ce pas du temps de formation perdu ?
Non, au contraire. « Savoir d’où l’on vient pour mieux voir où l’on va » : je répète souvent cette phrase aux élèves, pour qu’ils intègrent l’histoire de notre spécialité comme un module de formation à part entière. La transmission des traditions, de l’histoire et des valeurs des fusiliers marins est une de mes missions, à laquelle je suis très attaché : elle alimente la quête de sens que les jeunes sont venus chercher en s’engageant dans notre spécialité. Véritables héritiers de leurs grands anciens, ils peuvent aussi afficher une fierté légitime, qui atteint son paroxysme lorsqu’ils se font remettre leurs fourragères ou leur béret vert ici. Le déplacement est aussi l’occasion de visites mémorielles qui représentent un atout inestimable pour les élèves.
Quel est l’intérêt pédagogique pour les élèves de participer à cette cérémonie, ce jour-là, à cet endroit-là ?
Hormis la transmission des traditions et des valeurs des fusiliers marins, un tel déplacement est aussi l’occasion d’organiser des activités pédagogiques et de formation pour les élèves : manœuvres pour les uns, conférences historiques et didactiques pour les autres, particulièrement enrichissantes en termes d’apprentissage tactique. Les échanges encore possibles avec les vétérans – hélas de moins en moins nombreux – sont aussi des moments qui apportent une plus-value inestimable aux élèves en les faisant apprendre, réfléchir et grandir.
En tant qu’officier fusilier, quel est votre sentiment personnel lorsque vous foulez le sable des plages du Débarquement ?
Ce jour-là, de nombreuses réflexions me viennent à l’esprit ; un mélange d’honneur, de fierté, d’humilité et d’émotion. Honneur pour nous, cadres de l’École des fusiliers marins, de nous rendre tous les ans ici pour perpétuer nos traditions et commémorer les actions d’éclat et de bravoure de nos anciens. Fierté de porter ce béret vert qui symbolise la continuité, plus de 80 ans après Achnacarry, avec la même exigence, la même combativité, le même esprit d’équipage, le même courage, le même engagement que celui de Léon Gautier et ses 176 camarades. Humilité face à la situation géopolitique, celle de cette époque comme celle d’aujourd’hui, qui nous impose de nous tenir prêts, car la paix n’est jamais définitivement acquise. Émotion enfin en pensant à tous les fusiliers et commandos Marine qui ont donné leur vie en foulant ces plages ou ailleurs, et aux vétérans – Léon Gautier notamment – qui nous ont quittés.