Changement climatique : innover, protéger, s'adapter

Publié le 29/05/2024

Auteur : La Rédaction

Boussole de la survie planétaire, l’évolution des océans est conditionnée par le changement climatique et les impacts de l’action humaine. Armée des mers et acteur de la surveillance, de la préservation et de la protection des océans, la Marine doit faire face à deux défis majeurs : réduire ses impacts sur l’environnement et s’adapter aux conséquences du changement climatique. En jeu : la conservation de sa capacité opérationnelle. Explications.

@ Marine nationale

  

Au-delà du respect de la réglementation nationale et internationale, la Marine s’est dotée d’un plan d’action de protection de l’environnement marin (PAPEM) spécifique. Ce dernier décline plusieurs axes de travail, comme la conception des navires, la limitation des émissions dans les ports, la gestion des déchets ou encore l’optimisation de la consommation énergétique.

  

Mieux CONTRÔLER l’empreinte ÉNERGÉTIQUE

Les bâtiments de guerre modernes sont caractérisés par une mobilité et une puissance accrues, ainsi que par une augmentation des équipements numériques dont les installations nécessitent d’être refroidies. En conséquence, les besoins énergétiques des nouvelles unités de la Marine augmentent. Pour concilier cet impératif opérationnel avec une diminution de l’impact sur l’environnement, les nouveaux programmes de navires suivent les principes de l’écoconception. L’empreinte environnementale du navire est prise en compte, de sa conception à son démantèlement en passant par son exploitation. C’est le cas des 21 navires actuellement en projet ou en construction (patrouilleurs outre-mer, frégates de défense et d’intervention et patrouilleurs océaniques) mais également pour les huit frégates multimissions (FREMM) qui parcourent déjà les mers. Sur ces dernières, afin de diminuer la consommation d’hydrocarbures, la Marine a privilégié une propulsion hybride (diesel-électrique). En dessous de 15 nœuds, elles utilisent une propulsion électrique ; au-dessus, une turbine à gaz.

Cette solution leur permet d’être pleinement opérationnelles tout en consommant 20% de carburant en moins que la classe de navires qu’elles ont remplacée. Les navires disposent également d’un système expérimental qui compacte les déchets à bord, limitant ainsi les arrêts à quai. Des choix similaires ont été opérés sur des navires plus petits comme les chalands multimissions (CMM).

Principalement utilisés dans les ports et rades et parfois à proximité de zones habitées, ces chalands1 bénéficient d’une propulsion hybride. Lorsqu’ils transitent, le moteur thermique recharge la batterie, ce qui leur permet d’effectuer leurs travaux en propulsion électrique. Avantage : lors dune plongée, il ny a plus d’émission de gaz d’échappement ni de bruit susceptibles de gêner les plongeurs.

Navires en fin de vie

Les navires qui doivent aujourd’hui être déconstruits font l’objet d’un processus contrôlé de bout en bout afin de s’assurer que la démarche s’inscrit bien dans la politique écoresponsable dans laquelle la Marine s’est engagée. Dès le désarmement, l’inventaire des matières potentiellement dangereuses (hydrocarbures, amiante...) est effectué. L’industriel peut ainsi réaliser en toute sécurité les travaux de dépollution, le traitement des déchets et la valorisation des matériaux recyclables.

Les nouvelles constructions anticipent aujourd’hui, dès la conception, le démantèlement des équipements. Cela permet de garantir des systèmes évolutifs, d’améliorer la valorisation des matériaux et de réduire le coût du démantèlement.

S’adapter pour durer

La prospective est aussi essentielle pour permettre à la Marine de mieux s’adapter aux impacts du changement climatique et prévenir les conséquences sur ses infrastructures, ses bâtiments, ses opérations et ses équipages.

Rencontre avec Alexandre Taithe, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique.

COLS BLEUS : Quelles sont les conséquences prévisibles du dérèglement climatiques sur les missions de la Marine ?

Alexandre Taithe : La Marine est historiquement un acteur de l’action de l’État en mer (AEM). Mais en raison des conséquences du dérèglement climatique et de son exposition sur les différents océans, les sollicitations en matière d’assistance vont augmenter. Cette éventualité est intégrée par d’autres marines (États-Unis, Australie...). Ce dérèglement est aussi source de fragilisation de toute forme de sécurité, favorisant le risque d’intervenir dans des contextes de crises sociales, politiques, voire indirectement de conflits. En matière de protection, de sécurité en mer et de souveraineté, la Marine va être confrontée à une hausse des opérations de lutte contre la pêche illicite et les trafics dans les zones économiques exclusives (ZEE). 

C. B. : Qu’en est-il des infrastructures, des bâtiments et des marins ?

A. T. : Appuis essentiels de la Marine, les bases navales sont exposées à la montée des eaux et à des événements climatiques de plus en plus intenses et fréquents, combinant différents aléas et risques. Il est donc crucial que tout ce qui est constitutif d’une capacité (hommes, matériels, munitions...) soit le plus protégé possible. De plus, l’accès à l’eau et à l’électricité, surtout s’il relève d’acteurs extérieurs, est à garantir afin de ne pas compromettre les missions assurées ou soutenues par une base. Quelles que soient les conditions météorologiques ou climatiques, les fonctions essentielles (commandement, renseignement, zones de vie, santé, zones techniques, protection et engagement) doivent être préservées.

Enfin, la question de la dégradation des performances des bâtiments (bateaux, avions, hélicoptères, sous-marins...) et des systèmes embarqués se pose dans des zones où les températures extrêmes deviennent la norme. Où l’évolution de la géopolitique nous conduit à intervenir : Méditerranée, océan Indien et Indo-Pacifique, Atlantique du Nord-Est, voire Arctique. En effet, la température de leau et/ou de l’air a des conséquences sur le refroidissement des systèmes, la motorisation et la propulsion, la production d’électricité et d’eau à bord, le fonctionnement de certains systèmes d’armes, et donc sur les performances globales des capacités. Elles affectent aussi les conditions de vie et de travail des marins.

C. B. : Comment anticiper pour être opérationnel de façon durable ?

A. T. : L’approche doit être globale – environnementale, énergétique, juridique, scientifique... avec l’aide d’experts et en lien avec les marins. Dans un programme d’armement et d’architecture navale et aéronavale, l’un des défis est d’anticiper les conditions d’environnement à 30 ou 40 ans pour conserver durablement un excellent niveau de performance. D’autre part, il faut réussir à traduire concrètement ces considérations et évolutions climatiques dans la conception des bâtiments et des systèmes, sachant que les normes en application pour le développement de nouvelles capacités représentent près de 17000 documents techniques de différente portée.

Nous sommes aussi face à des contradictions, entre la réduction effective des émissions de gaz à effets de serre et de nouvelles technologies embarquées de plus en plus nombreuses et consommatrices d’énergie. La connaissance et le contrôle de l’empreinte énergétique des nouvelles capacités constituent également un défi pour les prochaines décennies. Les industriels, les acteurs publics et de la société civile ont une très forte pression (lois, normes, devoir de vigilance, opinion publique) qui touchera également les Armées. Les conditions de circulation et d’accueil des bâtiments dans les ports étrangers vont aussi évoluer. Intégrer tous ces éléments est l’une des conditions d’avenir de l’opérationnel.