Rafale Marine : 20 ans de chasse embarquée

Publié le 05/11/2024

Auteur : ASP Clémence de Carné

« Passer du Super Étendard au Rafale, c’était passer d’une golf GTI à une Formule 1 », raconte, amusé, l’amiral Pierre Vandier, commandant de la première flottille de Rafale dont il fit la mise en service opérationnelle en juillet 2004. Avec sa voilure en fibres de carbone, à la fois légère et résistante, le Rafale Marine est un bijou de l’aéronautique navale. Pourtant, l’avion qui a fêté le 13 septembre 2024 l’anniversaire de sa mise en service opérationnelle, a failli ne jamais voir le jour. En 1972, notre pays accuse un sévère retard technologique. La France, l’Allemagne de l’Ouest, le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie s’associent pour concevoir un programme européen d’avion de combat. Face aux divergences nationales sur les caractéristiques de l’appareil, la coopération est avortée. La France décide de développer seule son avion.

Deux Rafale Marine en vol

Une livraison laborieuse

Il est 19h15, le 4 juillet 1986, lorsque le pilote lâche les freins et décolle pour la première fois depuis Istres. Le Rafale s’élève à 10 000 mètres d’altitude, passe le mur du son et dépasse les 1605 km/h. Le vol d’essai est un succès ! Deux ans plus tard, le programme de développement de l’avion de chasse est lancé officiellement. Les années passent et le Rafale tarde à arriver. Le délai de livraison devient une véritable difficulté pour la Marine qui s’interroge sur l’achat d’un avion intermédiaire comme le F-18, afin d’acquérir des capacités au plus tôt. Finalement, avec huit ans de retard, les premiers Rafale sont livrés à la Marine en 2001. « Avec 30 ans de recul, on a bien fait de partir sur une solution nationale, mais si on se met à la place des marins de l’époque qui avaient besoin de capacités opérationnelles rapides, ce n’était pas si évident », raconte le capitaine de vaisseau (CV) Vincent, ancien commandant du groupe aérien embarqué (GAé).

Un quart de siècle d’opérations

Le Rafale et le porte-avions (PA) Charles de Gaulle (CDG) ont été pensés ensemble, avec une véritable logique d’intégration. Trois ans avant sa mise en service opérationnelle, l’aéronef participe à la mission Héraclès lors du premier déploiement du Charles. Le standard F2 vient doter l’appareil de capacités air-sol, en 2008, tandis que le F3, apporte des capacités air-mer et de reconnaissance. Le Rafale gagne ses lettres de noblesse comme avion multi-rôles pendant la mission Harmattan en 2011. Cette même année confirme le passage de témoin entre le Super étendard modernisé (SEM) et le Rafale avec deux flottilles Rafale (11F et 12F) au sein du GAé. Seule la 17F reste sur SEM jusqu’en 2016. « Le Super Étendard a conservé des capacités opérationnelles jusqu’à son retrait du service actif, offrant au GAé une transition souple et maîtrisée malgré les décalages. Cette longévité a permis d’acquérir progressivement les capacités du Rafale et de préserver le potentiel des machines sans renoncement opérationnel », rappelle le CV Vincent. Conçu pour remplacer trois aéronefs, le Rafale est aujourd’hui l’unique avion de chasse de la Marine. Il s’est imposé comme un avion multi-rôles, capable de remplir l’ensemble du spectre des missions aériennes jusqu’à la haute intensité. Déployé à plusieurs milliers de kilomètres autour du porte-avions, de l’Afghanistan à la Libye, en passant par le Levant, le Rafale Marine a participé aux principaux engagements militaires français des deux dernières décennies. Il assure la dissuasion nucléaire aéroportée au sein de la force aéronavale nucléaire, grâce à la capacité d’emport du missile air-sol moyenne portée amélioré (ASMP-A) rénové.

Excellence et exigence

L’excellence de l’aéronef exige des pilotes un très haut niveau technique : « on décolle sur 90 mètres, on se pose sur un terrain de tennis », rappelle le capitaine de frégate (CF) Pierre, chef de la division maîtrise des risques auprès du commandant de l’aéronautique navale, « un pilote de Rafale est capable d’actionner en temps réel 268 fonctions sans bouger les mains de ses manettes. Cela représente trois claviers et demi de piano et demande une certaine dextérité. Il faut piloter l’avion, visualiser la trajectoire, gérer son système d’arme et interagir avec l’extérieur. On est rarement seul sur un vol, quand on est jeune équipier, on se place par rapport aux autres mais quand on est chef de patrouille ou chef de dispositif, on dispose tous les avions dans l’espace et on leur donne des ordres, à tout moment il faut savoir où ils sont. »

Passage de témoin

« Pendant le deuxième arrêt technique majeur du PA en 2017, un détachement de la 17F a été envoyé sur la base aérienne projetée H5 en Jordanie pour contribuer à la mission Chammal. En 2008, mon commandant était à la tête de la patrouille lors de mon premier vol opérationnel au-dessus du territoire afghan. En Jordanie, en tant que commandant, c’était à mon tour de passer le témoin avec trois jeunes équipiers dans un environnement opérationnel exigeant, conduisant à des engagements cinétiques fréquents aux côtés de nos frères d’armes de l’armée de l’Air et de l’Espace et des flottilles d’Atlantique 2 », raconte le CV Vincent. La transmission est au cœur des enjeux du Rafale Marine, notamment lors des arrêts techniques du CDG : « À l’époque, il y avait toujours un des deux PA disponible. Maintenant, les périodes d’arrêt technique majeur entraînent un arrêt du Charles pendant près de dix-huit mois. Il faut trouver des moyens de maintenir la transmission de ces spécificités marines, comme la coopération avec des PA américains », explique le CF Pierre. Aussi, le défi en interne pour le GAé sera de rester entraîné et conserver son niveau de crédibilité et de performance. «  Le GAé est en pleine maturité. Le triptyque Hawkeye, Charles de Gaulle, Rafale, a fait ses preuves en opérations. Désormais, l’enjeu des deux prochaines décennies consistera à conserver un tel niveau de performance collective sans subir de décrochage technologique », conclut le CV Vincent.

Trois questions à l’amiral Pierre Vandier, commandant suprême allié à la transformation de l’OTAN et l’un des premiers pilotes de Rafale

Cols bleus : Comment s’est passée votre transformation sur Rafale ?

Amiral Pierre Vandier : J’ai fait ma transformation en trois ou quatre vols de Rafale B01 à Istres avec un pilote d’essai à l’arrière. J’ai été frappé de l’étonnante facilité à piloter cet avion. Le Rafale poussait deux fois plus fort et les commandes de vols étaient d’une extraordinaire vélocité. C’était aussi le premier avion dont l’interface était vraiment électronique avec des écrans. Le Rafale a été très bien fait et permet au pilote de se consacrer à la mission et beaucoup moins au pilotage.

C. B. : Quel est votre meilleur souvenir sur Rafale ?

A. V. : Des souvenirs de flottille et la façon dont on a surmonté les moments difficiles. Je pense à ces réussites technico-opérationnelles très particulières où tout s’imbrique parfaitement. Là, on ressent une grande joie de constater que l’avion fonctionne comme il a été prévu. Il y a aussi l’émotions des paysages. On vole très haut, et la bulle gigantesque du cockpit offre une vue extraordinaire. J’ai des souvenirs de panoramas sublimes en océan Indien et en Afghanistan.

C. B. : Une anecdote marquante en tant que pilote ?

A. V. : J’étais commandant de la flottille 12F, je pars pour un vol de nuit et au moment où j’allume mes feux de positions, j’ai le no go qui s’affiche dans toutes les visus, sur l’écran et panne moteur. Je vois au ralenti le bâton vert du chien jaune qui descend et touche le pont. J’ai beau hurler à la radio, comme l’avion fait un bruit incroyable, personne ne m’entend. J’ai la main sur la poignée du siège éjectable, je pense que je vais partir à la flotte. Le coup part, l’avion déroule sa course au catapultage. Quatre secondes après, les no go disparaissent, les paramètres moteurs sont normaux. Les douze secondes entre le catapultage et le moment où on reprend ses esprits, je suis passé par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel !