Amiral Nicolas Vaujour, chef d’état-major de la Marine
Publié le 23/04/2024
Chef d’état-major de la Marine depuis le 31 août 2023, l’amiral Nicolas Vaujour a accordé un entretien à Cols bleus à l’occasion de sa prise de fonctions. Le CEMM est revenu sur un parcours riche en expériences opérationnelles, avant de partager sa vision des enjeux d’un contexte toujours plus volatil et de développer son ambition pour la Marine.
COLS BLEUS : Amiral, quels sont vos premiers mots pour les marins, militaires et civils qui servent au sein de la Marine ?
CEMM : C’est avant tout pour moi une grande fierté d’avoir été nommé dans ces fonctions par le président de la République. Je mesure l’honneur qui m’est fait de commander 42 000 hommes et femmes, militaires et civils, présents partout dans le monde, sur mer, sur terre et dans les airs. C’est une charge immense. Au moment de « prendre le quart », je dis aux marins mon engagement à continuer à servir avec détermination pour réussir la mission qui m’est confiée.
CB : Quels sont les grands jalons qui ont marqué votre vie de marin ?
CEMM : J’ai découvert la vie opérationnelle embarquée outre-mer, en Martinique, sur le Ventôse, alors tout récemment sorti des chantiers. Chef de l’équipe de visite, j’ai été engagé dans les opérations de contrôle de l’embargo de l’ONU au large d’Haïti1. Une expérience qui éduque au sang-froid et au professionnalisme.J’ai ensuite choisi de rejoindre la spécialité de détecteur et plus particulièrement le domaine de la défense anti-aérienne. Un monde où il faut décider vite, s’adapter en permanence et être agile. Le central opérations d’une frégate de défense aérienne (FDA) est une ruche, où se construit un formidable travail d’équipe, où chacun à sa place, chaque mot compte, chaque action est indispensable à l’interception de l’avion ennemi. Sans surprise, ce parcours m’a conduit à naviguer sur le Jean Bart, le Cassard, le Forbin et le Chevalier Paul.
CB : Cette vie embarquée vous a vu commander trois bâtiments à la mer.
CEMM : Oui, le bâtiment école (BE) Lion, l’aviso Commandant Birot et la frégate de défense aérienne Chevalier Paul. Sur le BE, on apprend aux autres à naviguer. C’est aussi un formidable apprentissage du commandement pour un jeune officier. Sur les avisos, c’est la force de l’équipage qui nous permet de remplir les missions. La FDA, c’est un concentré de toute l’expérience de la Marine rassemblé dans un outil de combat remarquable.Ces affectations m’ont conduit à participer à de nombreuses opérations, notamment en océan Indien ou en Méditerranée orientale, souvent au sein d’un groupe aéronaval, que ce soit avec le Charles de Gaulle ou au sein de CSG2 américains, dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme international, notamment Enduring Freedom ou « Héraclès ».
CB : Vous avez également servi dans des postes à terre ?
CEMM : Les combats à terre sont probablement moins connus et plus discrets, mais tout aussi indispensables à la réussite de nos missions. J’y ai découvert une grande richesse et un profond dévouement de ceux qui y travaillent. J’ai ainsi servi à l’état-major d’ALFAN à la division entraînement, puis comme chargé du domaine « lutte au-dessus de la surface ». Plus tard, j’ai rallié Paris, d’abord comme assistant militaire du général Georgelin, puis au sein de la division cohérence capacitaire de l’état-major des armées. J’ai alors été en charge du renouvellement de la composante « frégate » de la Marine, et notamment des frégates de défense et d’intervention (FDI), dont la tête de série, l’Amiral Ronarc’h, poursuit son armement à Lorient.
Comme amiral, j’ai successivement été en charge des opérations (ALOPS), puis des relations internationales de la Marine (ALRI). Trois années très denses avec de nombreux temps marquants : l’opération « Hamilton » de frappe de rétorsion dans la profondeur en Syrie, la continuité des opérations de la Marine pendant la crise du Covid, les déploiements du GAN…
En 2021, j’ai été nommé sous-chef d’état-major « opérations » des armées. À ce titre, j’ai dirigé sous les ordres du CEMA l’ensemble des opérations des forces françaises, à l’extérieur comme à l’inté-rieur de nos frontières. Là non plus, les événements n’ont pas manqué, tant le rythme d’engagement des armées est intense. Je pense évidemment aux conséquences de la guerre en Ukraine, mais également à la réarticulation de notre dispositif en Afrique, ou tout récemment à l’opération « Sagittaire » d’évacuation de ressortissants au Soudan, qui a vu pour la Marine l’engagement de la Lorraine et des commandos Marine.
CB : Vous avez donc vu la Marine agir de l’extérieur. Qu’en retenez-vous ?
CEMM : La Marine montre chaque jour son efficacité en opérations, dans une diversité d’engagements remarquable : de la surveillance du littoral à la permanence de dissuasion nucléaire, de la police des pêches au déploiement du GAN, des pistages de sous-marins aux actions spéciales des commandos Marine. C’est une richesse incroyable. Malgré les difficultés qui ne manquent pas, la Marine agit et nous pouvons en être fiers.
Les savoir-faire développés en opérations sont précieux dans le contexte actuel. Et c’est cela l’autre enseignement de mes deux années à la tête des opérations des armées : l’imprévu devient la règle. La situation géopolitique atteint un niveau de volatilité et d’incertitude inédit. Le réarmement naval que nous constatons en mer en est un marqueur frappant. Cela nous impose d’être prêts à des engagements plus durs et exigeants, qui pourraient s’imposer à nous sans préavis et de manière brutale.
CB : Comment la Marine doit-elle se préparer pour être à la hauteur de ces enjeux ?
CEMM : La préparation au combat doit se trouver au centre de notre action collective. En ce sens, la loi de programmation militaire 2024-2030 nous donne le cap à suivre. L’effort consenti par la Nation est majeur. Les engagements votés confirment la volonté de disposer d’une Marine et d’armées fortes et cohérentes. Ils poursuivront le renouvellement des moyens par le lancement de programmes majeurs et le développement de capacités nouvelles, performantes et adaptées aux enjeux du monde. Nous avons parlé des FDI, mais je pense aussi aux patrouilleurs outre-mer, aux bâtiments ravitailleurs de forces ou aux SNA de type Suffren, dont les capacités dépassent celles des générations précédentes.
L’enjeu pour la Marine est d’exploiter tout le potentiel de ces nouveaux moyens à la pointe de la technologie, tout en poursuivant nos missions avec les moyens les plus anciens. Le rythme des opérations l’impose. Nous devons être acteurs de ce monde incertain, développer nos savoir-faire, proposer des options face aux crises que nous rencontrons. Notre ADN, c’est de faire face, de nous adapter et d’agir avec les moyens que nous avons.
Le plan Mercator dresse les lignes de force à suivre pour répondre à cette ambition. Ce plan porte la détermination du temps long pour poursuivre le renouvellement de la Marine et l’agilité du temps court pour adapter nos forces aux enjeux actuels.
Je m’inscris sans réserve dans la continuité de cette vision stratégique accélérée par l’amiral Vandier, qui a inlassablement développé l’esprit combatif de la Marine.
CB : Sur quelles forces la Marine peut- elle compter ?
CEMM : La plus grande richesse de la Marine, ce sont les marins, les équipages et l’esprit qui les anime. C’est ce qui nous permettra de poursuivre notre mission malgré les turbulences.
Notre trésor, c’est l’esprit d’équipage. Sur un bateau, un sous-marin, dans un aéronef ou dans un commando, la valeur collective vaut plus que la somme des talents individuels. La performance, l’engagement et la détermination de chacun sont indispensables au succès de la mission. Cet état d’esprit imprègne la Marine, tant à l’échelle de l’unité que de la Marine tout entière. Il importe de le consolider. Cela fonde notre excellence en opérations.
CB : Quelle consigne donnez-vous aux marins qui nous lisent ?
CEMM : Au regard du contexte et des enjeux, je demande aux marins de cultiver leurs talents et de les développer, en étant :
- prêts individuellement et collectivement ;
- combatifs, du quotidien des pontons au poste de combat en haute mer, déterminés à ouvrir des voies nouvelles pour vaincre ;
- ouverts au monde extérieur. Connaître les autres au sens large – l’autre bateau, l’autre force organique, les autres armées, les Marines partenaires – est indispensable pour vaincre ;
- audacieux, car pour réussir, il faut dépasser l’habitude et inventer de nouveaux modes d’action.
J’aime beaucoup la devise du Chevalier Paul, « Oser et vaincre ». Il faut oser pour vaincre. Je sais pouvoir compter sur le professionnalisme et la détermination de chacun.
1 À la suite d’un coup d’État militaire, l’ONU met en place le 3 juin 1993 par la résolution 841 un embargo sur les produits pétroliers, ainsi que sur les armes à destination d’Haïti.
2 Carrier Strike Group : groupe aéronaval.