FRSTRIKEFOR : contre-amiral Jacques Mallard

Publié le 04/04/2024

Auteur : La Rédaction

Commandant de la force aéromaritime de réaction rapide (FRSTRIKEFOR pour French Strike Force) depuis le 1er août 2023, le contre-amiral Jacques Mallard est un ancien pilote de chasse embarquée – 2 500 heures de vol et 62 missions de combat à son actif. À la tête de FRSTRIKEFOR, il commandera le déploiement du groupe aéronaval (GAN) sur la mission AKILA en 2024.

Cols bleus : Amiral, pouvez-vous rappeler ce qu’est un état-major embarqué ?

Contre-amiral Jacques Mallard : Dirigé par un amiral, l’état-major embarqué désigne l’équipe, 65 à 75 personnes, qui conduit une force navale, qu’elle soit aéronavale, amphi­bie, de guerre des mines ou tout à la fois. Cet état-major embarqué permet d’assurer la liai­son avec, d’un côté, les échelons supérieurs, c’est-à-dire, le niveau opératif régional ou le niveau stratégique à Paris, et de l’autre, les forces, soit l’ensemble des unités constituant le groupe aéronaval, à savoir le porte-avions et son groupe aérien embarqué, les frégates d’escorte, le pétrolier ravitailleur, le sous-marin nucléaire d’attaque et l’avion de patrouille maritime. Ce panel d’unités très large nécessite plusieurs compétences : logistique, transmissions, ren­seignement, gestion du personnel, conduite des opérations, planification des opérations aériennes, expertise légale, affaires publiques. Commander depuis la mer est spécifique à la Marine, c’est une compétence développée au sein de FRSTRIKEFOR. Dans l’optique du combat de haute intensité, être embarqué, donc en mouvement permanent, est un atout majeur, en comparaison avec les cibles sta­tiques, à terre.

CB : Quelle est la raison du changement de nom de cet état-major?

CA JM : L’état-major FRSTRIKEFOR est héritier de l’ensemble des états-majors tac­tiques mis en place depuis la fin de la Deu­xième Guerre mondiale, essentiellement des états-majors d’escadre ou de groupe aérona­val. Quand la France a réintégré la structure du commandement de l’OTAN en 2007, elle a mis à disposition une unité pour être un High Readiness Forces Headquarters, ce qui signifie un état-major embar­qué pour comman­der une force navale au profit de l’Al­liance. Il a été décidé l’année dernière de changer l’appellation French Maritime Force (FRMARFOR), pour French Strike Force (FRSTRIKEFOR). Ce nom reflète davantage notre positionnement et nos compétences à ceux des états-majors de type STRIKEFOR au sein de l’OTAN qui commandent comme nous des groupes amphibies (expeditionary strike group) et aéronavals (carrier strike group). La signification de strike en anglais est plus imagée pour représenter notre action que le mot maritime.

CB : Avant d’en prendre le commandement, vous aviez déjà servi quatre ans au sein de FRSTRIKEFOR, quels changements notables avez-vous notés ?

CA JM : Premièrement, j’ai un plus grand bureau (rires). Plus sérieusement, j’avais déjà vu fonctionner l’état-major embarqué en tant que pilote au sein du groupe aérien embarqué (GAé), puis quand j’ai commandé une flottille. Très honnêtement, je ne vois pas de transfor­mation radicale, seulement une longue conti­nuité dans les savoir-faire et une amélioration aussi bien dans les outils utilisés que dans les méthodes en termes d’efficacité. Pour la plani­fication des opérations aériennes, nous avons, petit à petit mis en place des processus qui intègrent à la fois ceux de l’OTAN et le savoir-faire acquis dans les échanges avec l’armée de l’Air et de l’Espace. Le groupe aéronaval a su élargir ses capacités, notamment en intégrant le missile de croisière naval (MDCN), de nouveaux capteurs, c’est une évolution posi­tive qui a permis d’élargir le spectre et la capacité de com­mandement. Le GAN possède un centre de renseignement qui opère pour l’ensemble de la force navale (CRFN). Initiale­ment, il agrégeait les informations reçues et développait les images de reconnais­sance des Super-Éten­dard. Désormais, il a largement agrandi son périmètre sur le spectre électromagnétique et sa capacité de travail collaboratif avec les autres entités.

CB : En tant que commandant de FRSTRIKEFOR, vous devez commander le déploiement du GAN. Concrètement, comment le GAN entretient-il sa capacité à réagir sans délai ?

CA JM : FRSTRIKEFOR arme trois états-ma­jors : A pour amphibie, B pour guerre des mines et C pour le groupe aéronaval. Il se voit fixé un délai d’alerte en fonction du navire sur lequel il se déploie. Nous ne sommes pas aux commandes en permanence, mais nous restons au contact des opérations. L’ensemble du personnel de FRSTRIKEFOR reste ainsi connecté avec les commandants interarmées de théâtre. Nous échangeons sur leurs visions des opérations pour nous tenir au courant des évolutions. Avec le centre de combat naval (C2N) et les centres d’expertise FAN, HELICO, PATSIMAR 1 et GAé, nous suivons le retour d’expérience des engagements ainsi que les innovations et les évolutions à mettre en place, comme en ce moment sur les conflits en mer Rouge et en Ukraine.

CB : Comment le GAN s’adapte-t-il aux nouvelles formes de guerre ?

CA JM : Nos réflexions tactiques prennent en compte le domaine du cyber, de la menace sur les fonds marins, avec des capacités qui ne sont peut-être pas embarquées au sein du groupe aéronaval, mais sur lesquelles nous nous appuyons. C’est toute la force de l’interarmées. Nous sommes par exemple en lien avec le com­mandement de l’espace pour avoir connais­sance de la météoro­logie satellitaire, avec le commandement de la cyberdéfense pour savoir quelles sont nos vulnérabilités et comment nous pouvons agir dans ce champ ; l’ensemble du spectre élec­tromagnétique est analysé avec des outils qui évoluent et sont de plus en plus performants. La capacité à traiter l’ensemble de ces données constitue la force du groupe aéronaval, afin de remplir les missions et de pouvoir s’adapter en permanence.

CB : Existe-t-il un entraînement spécifique pour s’y préparer ?

CA JM : Dans le cadre de la démarche Pola­ris initiée en 2021, un certain nombre de scé­narios ont été écrits pour permettre à deux composantes opposées de laisser place à leur imagination et de pousser largement les capa­cités de leurs navires. En France, nous ne possédons pas deux porte-avions donc nous sommes obligés de travailler avec d’autres nations. Cela a été le cas lors de l’exercice Orion avec un porte-avions américain. Cela sera à nouveau le cas lors de l’exercice Mare Aperto avec un porte-aéronefs italien. La France co-organise l’édition 24.1 de cet exercice italien en y intégrant les règles de jeux Polaris qui reflètent le réalisme du combat naval. Ainsi, nous pour­rons nous affranchir de certaines règles dites « de temps de paix » pour lais­ser place à une plus grande liberté d’ac­tion et d’imagination tactiques aux deux forces qui s’oppose­ront.

CB : Lors du déploiement du GAN, comment se traduit l’interopérabilité avec les marines alliées ?

CA JM : Le groupe aéronaval est un peu la vitrine de la capacité française à opérer en haute mer, loin, longtemps et sur un panel de missions extrêmement large. Quand on avance cette vitrine, on le transforme en agrégateur de coalition, car cela intéresse les autres nations de travailler au sein de cette force. L’intérêt pour nous, Français, de tra­vailler en coalition, est d’abord d’augmenter le volume de bâtiments au sein du GAN, puis d’entretenir la grande capacité d’interopérabi­lité de la Marine française. Lors de la Confé­rence navale de Paris du 25 janvier dernier, le vice-amiral indien Rajesh Pendharkar a décrit la difficulté à travailler ensemble par ces mots : « Nous devons commencer par savoir si vous écrivez de droite à gauche ou de gauche à droite. » Quand nous collaborons avec des marines étrangères, nous devons nous mettre d’accord sur les procédures à respecter. C’est très important, car en cas d’interactions avec des compétiteurs, notamment pour des actions offensives, nous devons savoir com­ment l’autre va réagir. Au sein de l’OTAN, les procédures partagées et standardisées, comme les systèmes de communication et de ravitaillement à la mer, simplifient l’inté­gration des bateaux.