Centre de services de la donnée et de l'intelligence artificielle Marine : La Provence teste le premier data hub embarqué de la Marine

Publié le 02/02/2024

Auteur : La Rédaction

Le capitaine de vaisseau éric Herveleu, chef du centre de services de la donnée et de l’intelligence artificielle Marine (CSDIA-M) à Toulon, et les deux commandants de la Provence (équipages A et B) ont travaillé de concert sur cette expérimentation inédite

Cols bleus : à quoi sert le centre de services de la donnée et de l’intelligence artificielle Marine (CSDIA-M)?

CV Eric Herveleu :Créé en 2019, ce qui n’était à l’époque que le CSDIA-M est un outil modulaire et un centre d’expérimentation. L’objectif du CSDIA-M est aussi notre mantra : mettre en place des solutions pour obtenir une connaissance multi-champs/multi-milieux. Nous sommes le référent data pour la Marine pour ce qui concerne les architectures techniques, les techniques d’intelligence artificielle, le traitement de données et les produits de la donnée. Le rôle du CSDIA-M est de récupérer, stocker, traiter et restituer les données opérationnelles de la Marine pour des entités internes ou externes au ministère des Armées. Le CSDIA-M assure une tutelle technique et méthodologique dans la valorisation des données afin de rationaliser les efforts de la Marine. Enfin, nous réalisons des preuves de concept dans le domaine de l’intelligence artificielle, des outils d’aide à la décision utilisant les techniques de la simulation et de la recherche opérationnelle et des cas d’usage exploitant de la donnée massive.

CB : Qu’est-ce qu’un cas d’usage ?

CV E. H. : Ce sont les applications que chaque marin, chaque bâtiment, chaque force, souhaiterait avoir. Faire des cas d’usage c’est se poser sur un écosystème générique et être capable d’y convoquer certaines données et d’y mettre certains traitements. Ça c’est la théorie !

CB : Comment se traduit cette théorie dans le monde réel ?

CV E. H. : Avec les data scientists, les ingénieurs cloud, les data officers du CSDIA-M, la DGA et nos partenaires industriels, nous avons mis au point le premier data hub embarqué (DHE), que nous avons installé à bord de la FREMM Provence.

CV Lionel Siegfried (commandant de la FREMM Provence B) :

Implanter le DHE sur une FREMM à double équipage multiplie les chances de succès de la Marine : en effet, cela permet d’avoir en permanence un équipage en charge de son exploitation en opération, et un équipage en appui des développements numériques aux côtés du CSDIA-M et des industriels. L’effort est ainsi continu, et le lien permanent entre les architectes et les opérationnels.

CB : Quel est le rôle d’un data hub embarqué et de son expérimentation sur la Provence ?

CV E. H. : Le DHE vise à exploiter les données opérationnelles grâce à des solutions de data-vizualisation et des outils d’intelligence artificielle, pour fournir à l’équipage des outils performants d’aide à la décision. Ces solutions doivent être accessibles depuis les intranets embarqués voire les systèmes métiers. Un opérateur de FREMM, c’est déjà un Jean-Michel Jarre, quelqu’un qui doit composer avec plusieurs écrans. Lui en rajouter un, ce n’est pas l’aider du tout ! Il faut fédérer tout cela à travers un seul navigateur web, standardiser au maximum.

CV L. S. : L’automatisation a conduit à la numérisation des bâtiments, tandis que les réseaux ont démultiplié les accès aux données. La donnée est partout sur nos bâtiments, il s’agit maintenant de mieux l’exploiter ! Aujourd’hui les marins n’ont accès qu’à certaines données à travers une multitude de systèmes, et ils passent beaucoup plus de temps à rechercher ces données qu’à les exploiter. L’objectif du DHE est d’améliorer ce rendement pour permettre aux marins de comprendre mieux et de décider plus vite dans un monde où l’intelligence artificielle promet d’énormes gains de performances. En pratique, le DHE est un super-ordinateur qui est capable de stocker et de traiter automatiquement toute la donnée utile à travers une interface unique. Si nous parvenons à ouvrir les vannes de la donnée de nos systèmes vers le DHE, il sera alors possible de mettre un univers d’applications numériques à la portée de nos opérateurs. L’approche singulière du DHE, c’est de tout faire en parallèle : la capacité de stockage et de calcul est installée à bord avec son interface opérateur, et le développement des applications est réalisé en même temps que les travaux sur les connecteurs de données. Les marins du bord, qui sont des experts de leurs métiers, travaillent ainsi sur l’expression de leurs besoins à travers les « cas d’usage », en lien avec les experts du numérique du CSDIA-M ou les industriels. Sur la Provence, j’ai d’abord exprimé des besoins qui correspondent à du temps perdu par les opérateurs. Quelques mois plus tard, l’objectif est que les marins voient arriver les solutions aux problèmes soulevés sous forme de « patch logiciel ». C’est extrêmement encourageant et stimulant.

CB : Pouvez-vous citer des applicatifs du DHE ?

CV L. S. : Les tests ont déjà commencé sur la première version de LEVIATHAN qui constitue l’interface principale du DHE. C’est un peu comme un système d’exploitation à l’instar de Windows. Dans notre cas d’usage, il prend la forme d’un système d’information géographique qui permet d’accéder à des couches d’informations stockées dans le DHE, comme des calques de géolocalisation, des fonds cartographiques ou des outils d’aide à la visualisation. Colbert GPT est également déployé à bord de la Provence. C’est une IA générative, un Chat-GPT version militaire qui peut travailler sur des données opérationnelles sensibles comme les notes de renseignement, les rapports de fin de mission ou toute autre documentation opérationnelle accessible. L’implantation de ce type d’outil interactif est une vraie concrétisation de transformation numérique pour les marins qui retrouvent des interfaces ludiques et proches des usages civils directement sur leur système de combat. S’il est déjà possible de traduire des textes en, ou depuis des langues étrangères, il sera bientôt possible de faire du speech to text pour ne plus rien rater d’une communication radio. De manière générale, le DHE va très vite héberger toutes les applications utiles déjà en service dans les armées, et de nombreux développements d’applications ont été lancés, voire déjà livrés avec Naval Group, MBDA, THALES, le Centre d’expertise des programmes navals, et le FAN L@B. Si la donnée arrive dans le DHE, les applicatifs numériques devraient donc s’agréger très vite, en tous cas bien plus vite que les cycles d’innovation habituels portant sur le matériel.

CB : Quelle sera l’étape suivante ?

CV E. H. : Le DHE testé sur la Provence va passer en série. ALFOST s’est également montré intéressé pour demander que soit installé un DHE sur les prochains SNA. On devrait être en mesure de déployer les premiers bâtiments avec des DHE en 2025. Le passage en série est conditionné au retour d’expérience de la Provence, qui permettra de savoir si le DHE a apporté une plus-value au bateau ou non.

Un partenariat fructueux avec l’ISEN Méditerranée à Toulon

Le partenariat de la FREMM Provence avec l’Institut supérieur de l’électronique et du numérique (ISEN) à Toulon est né d’un constat : l’exploitation du formidable potentiel de la donnée nécessite de développer les « cas d’usage » et cette semaine était une occasion unique de mettre en contact les équipages avec les développeurs autour de projets concrets. L’intelligence artificielle (IA) et les capacités de traitement modernes vont offrir aux équipages de nouveaux gains opérationnels. Depuis quelques mois, les marins de la Provence se préparent à cette révolution grâce aux experts du domaine – y compris dans le monde civil – pour développer notamment l’« App store » du bord au travers d’applications opérationnelles utiles à l’équipage. Selon le commandant en second de l’équipage B de la Provence, première frégate à accueillir un data hub embarqué (DHE), consacrer « l’innovation week » annuelle de l’ISEN au thème de l’exploitation de la data à bord de la Provence, participait à cette montée en gamme : « l’objectif était triple : bénéficier de propositions d’application opérationnelle de la part de jeunes ingénieurs, faire rayonner la Marine et éventuellement susciter chez eux des vocations pour participer au développement de la Marine « data centrée ». Répartie en dix groupes de travail, la promotion de Master 2 de l’ISEN Méditerranée a découvert en un temps record les capacités d’une FREMM et les contraintes opérationnelles des marins de la Provence pour répondre à des problématiques.

L’implication de la Marine a été un facteur clé du succès de cet événement : une délégation de marins de l’équipage B de la Provence, du FAN L@B, du CSDIA-M et du Pôle écoles Méditerranée ont encadré et conseillé les étudiants, en jouant le rôle de mentors. à la fin de la semaine, chaque groupe a présenté son application opérationnelle à un jury composé du commandant de l’équipage B de la FREMM Provence, du chef du CSDIA-M et du responsable de la transformation numérique de la force d’action navale. « Le résultat est très positif », se réjouit le commandant en second de la Provence B. « Les étudiants se sont impliqués avec énergie et enthousiasme, en s’appropriant une problématique à la fois originale et concrète pour eux. Ils nous ont proposé plusieurs idées très intéressantes : des applications d’aide à la décision pour la classification automatique de pistes tactiques du système de combat, pour générer des ordres de bataille, pour élaborer des compte-rendu automatiques, pour la détection automatique de pannes et la maintenance prédictive ou encore pour les réservations de zones ». à la clef, trois prix sont venus récompenser l’audace, l’efficacité et la créativité des projets. Tous se sont donnés rendez-vous à bord de la Provence pour une visite : la plus belle des récompenses pour ces futurs ingénieurs dont certains travailleront peut-être un jour pour la Marine dans le domaine de l’innovation.