Marins des débarquements, 80 ans après

Publié le 01/06/2024

Auteur : La Rédaction

L’année 1944 annonce la chute de l’Allemagne nazie. Les Alliés débarquent le 6 juin sur les côtes normandes, puis le 15 août en Provence.

Débarquement sur les plages

Les opérations Overlord et Dragoon vont permettre de contourner la fortification naturelle formée par les Alpes et de remporter ainsi une bataille décisive contre le IIIe Reich. 80 ans après, retour sur ces étapes historiques, parfois méconnues, qui ont pavé le chemin de la Libération du pays et continuent d’inspirer la Marine et les marins.

Peu après minuit, le 6 juin, trois divisions aéroportées touchent le sol de France : la 82e et la 101e américaines à l’ouest du front d’invasion, dans la région de Sainte-Mère-église et la 6e division britannique à l’est, sur la rive droite de l’Orne. Dans le même temps, au nord de Caen, 200 Britanniques amenés par six planeurs réussissent à prendre les deux ponts de Bénouville afin de protéger le flanc est.

Le plus grand débarquement de l’histoire

Puis, le 6 juin 1944 à l’aube, l’opération Neptune, la phase d’assaut de l’opération Overlord, commence. En quelques heures, 156 177 hommes partis du Royaume-Uni déferlent sur les côtes. Dirigée par l’amiral Bertram Ramsay, la force navale et amphibie du plus grand débarquement de l’Histoire est composée de 6 939 navires, dont 4 126 bâtiments de charge constitués en 47 convois destinés aux manœuvres de débarquement.

Intenses bombardements navals

L’escadre de combat est forte de 137 grands navires de guerre, dont sept cuirassés et une vingtaine de croiseurs. S’ajoutent à cela 221 destroyers, frégates et corvettes, 495 vedettes, 58 chasseurs de sous-marins, 287 dragueurs de mines, quatre poseurs de mines, deux sous-marins. À cette flotte gigantesque viennent s’ajouter 736 navires auxiliaires et 864 navires marchands pour le transport de vivres, munitions et pour servir d’hôpitaux flottants. Parmi les navires marchands, 54 blockships seront coulés pour former des rades artificielles. Après d’intenses bombardements, la flotte d’invasion met à l’eau les barges de débarquement. à partir de 6 h 30, en fonction de la marée, les opérations se succèdent d’ouest en est sur les plages, à Utah et Omaha d’abord, les plages américaines, puis sur les plages du secteur britannique plus à l’est, Gold, Juno et Sword. Cinq divisions sont engagées. Les Allemands, qui s’attendaient à un débarquement à marée haute, avaient hérissé l’estran d’obstacles minés destinés à détruire les barges. Mais l’opération à mi-marée rend inopérants la plupart de ces dispositifs, qui sont ensuite neutralisés. À Utah, les Américains ne rencontrent pratiquement pas de résistance. À l’est, Britanniques et Canadiens pénètrent rapidement à l’intérieur des terres.

Omaha la sanglante

Mais à Omaha, la situation est catastrophique. Les Américains se heurtent à la farouche résistance de la 352e division d’infanterie allemande. Les blindés, si efficaces sur les autres plages, n’ont pas pu aborder et les GIs sont pris sous un feu continu. La plage devient « Omaha la sanglante ». Après un nouveau bombardement naval décisif, les Américains parviennent à se dégager en début d’après-midi. Mais ils ont perdu 2 500 hommes. Au soir du 6 juin 1944, les Britanniques et les Français tiennent une bande longue de 35 km et profonde de 11 à 15 km. Lorsque le « jour le plus long » s’achève, les Alliés ont établi quatre têtes de pont. 3 500 hommes ont été tués ce jour-là, 7 300 sont blessés ou ont disparu. La seconde phase de l’opération Overlord et la bataille de Normandie peuvent commencer.

Opération Mulberry

La création de ports artificiels

« Pour débarquer autant de troupes et pouvoir les ravitailler en chars, artillerie, pétrole et vivres, il fallait des ports en eaux profondes, or Le Havre et Cherbourg n’avaient pas de plages qui se prêtaient au débarquement. Les Alliés décidèrent de construire en Grande-Bretagne deux ports artificiels qui seraient remorqués à travers la Manche jusqu’aux plages d’Arromanches et Omaha Beach. Ce dernier n’a jamais été opérationnel. Celui d’Arromanches, conçu pour durer un été, a finalement permis de débarquer 2 millions et demi d’hommes, 500 000 véhicules et 4 millions de tonnes de matériel et continua d’être utilisé
pendant huit mois.»

1er bataillon de fusiliers marins commandos

Dix ans de recherches ont été nécessaires pour retrouver les visages des 177 hommes du 1er bataillon de fusiliers marins commandos ayant débarqué le 6 juin 1944 sur la plage de Sword Beach. Benjamin Massieu et Jean-Christophe Rouxel retracent leurs parcours.

Cols bleus: Quel était le projet qui a donné naissance à votre livre ?

Benjamin massieu : L’idée était de permettre aux lecteurs de rencontrer les 177 hommes qui ont débarqué le jour J et, au-delà de ce jour mythique, de découvrir leurs portraits, leurs itinéraires personnels, et comprendre l’aventure humaine que cela a été.

C. B. : Avez-vous pu rencontrer les familles des hommes du commando Kieffer ?

B. M.: Oui bien sûr, nous sommes en contact avec beaucoup d’entre elles. C’est à chaque fois touchant lorsque nous leur faisons découvrir un pan de leur histoire familiale. Certains avaient jeté un voile sur leur participation au Débarquement, je pense notamment à Paul Mariaccia. Sa femme et ses filles n’ont appris sa participation qu’en 2004, quand son neveu a trouvé par hasard son nom dans la liste des 177.

C. B. : Pourriez-vous nous présenter l’un des 177 ?

B. M. : Georges Bouchard vit avec son père en Colombie lorsqu’il apprend la défaite de 1940. À quinze ans, il fugue pour aller se battre et libérer sa mère et sa sœur restées en France. à Bogota, il prend un chalutier pour l’île de Sainte-Lucie où il embarque sur un convoi qui l’emmène jusqu’en Angleterre, en pleine guerre de l’Atlantique. Là, trop jeune pour s’engager, les Britanniques télégraphient à son père qui en réponse, accepte de l’émanciper. Il s’engage dans la Marine avant de rejoindre les commandos en novembre 1943 jusqu’à la fin de la guerre.

Le 7 juin prochain, à Ouistreham, des stagiaires des préparations militaires Marine, venus de toute la France, porteront les 177 portraits des hommes du commandant Kieffer à l’occasion des cérémonies commémoratives.

Dans la nuit du 26 au 27 février 1944, le lieutenant de vaisseau Charles Trépel commande un raid de reconnaissance sur les côtes néerlandaises, avec sept de ses hommes. Prévu depuis plusieurs mois, celui-ci doit renseigner les Alliés sur les défenses allemandes. Aucun des commandos débarqués n’est revenu à bord. 

La rutilante MTB 682, navire de guerre britannique, fend la mer en direction de la plage de Wassenaar, huit kilomètres au nord de Scheveningen, sur la côte néerlandaise. À son bord se trouvent le lieutenant de vaisseau Trépel, le second maître Hagneré et les quartiers-maîtres Rivière, Cabanella, Guy, Devillers, Lallier et Grossi. Tous font partie du 1er bataillon de fusiliers marins (BFM) dirigé par Philippe Kieffer. Ils ont quitté les côtes britanniques dans l’après-midi, pour participer à l’opération Premium. Leur objectif : repérer une usine dans laquelle les Allemands construisent des fusées destinées à être lancées sur Londres, et se renseigner sur leurs défenses. C’est la seconde fois qu’ils entreprennent ce raid. Trois jours plus tôt, ils ont dû faire demi-tour à cause d’un incident technique. Trépel est déterminé. En décembre, son raid sur Berck-plage, destiné à évaluer les défenses de l’ennemi et le tromper sur un éventuel lieu de débarquement, a lui aussi été annulé car jugé trop périlleux. Persévérant, il est parvenu à convaincre les autorités britanniques de lui confier ce nouveau raid. Cette fois, rien ne pourra le faire dévier de sa trajectoire.

Premiumlost no news

La vedette arrive sur site avec deux heures de retard. Les hommes partent vers la côte sur un doris (embarcation légère d’environ 3 à 6 mètres, à fond plat, propulsée à la rame) contenant un radeau. Soudain, des fusées rouges en provenance de la rive illuminent le ciel. À 30 mètres de la plage, les commandos montent dans le radeau et s’éloignent vers le rivage. Trois nouvelles fusées sont tirées. Les quartiers-maîtres Lallier et Grossi, restés dans le doris, attendent leur retour. Tout à coup, des aboiements et des cris couvrent le clapotis des vagues. Il est 4 h 30 et les six commandos devraient déjà être rentrés. Ordre de patienter une demi-heure. Les fusées continuent d’éclairer la nuit et des éclats de torches électriques parcourent le ciel. À 5 h, le doris rejoint la vedette. Les six commandos ne rentreront jamais. À Londres, le raid est classé ainsi : Premium lost no news*. 

Fausse identité

Le 24 mai 1945, l’enseigne de vaisseau de première classe Mazeau émet un rapport annonçant les pertes du 1er bataillon de fusiliers marins commandos et les recherches infructueuses pour repérer les six disparus. À la Libération, leurs corps sont finalement retrouvés, ils ont été enterrés comme aviateurs alliés inconnus. Dans son rapport d’enquête, l’EV1 Hulot précise que «tous portent sur leur visage l’expression d’avoir terriblement souffert». Ont-ils été saisis par le froid en voulant regagner le rivage ? Étaient-ils attendus par l’ennemi ? Leur disparition demeure, encore aujourd’hui, un mystère. 

* Premium a disparu, aucune nouvelle

Trépel dans les mémoires

« Modèle de l’officier commando, Charles Trépel est une personnalité qui inspire toujours le commando, même de nos jours, affirme le capitaine de corvette Benoît, commandant du commando Trépel. Je fais souvent référence à son dernier raid car il force l’humilité, précise-t-il. Plutôt que d’en tirer des leçons, souvenons-nous de ce que cette opération nous enseigne. Aurions-nous fait différemment aujourd’hui ? Non. L’issue de ce raid est un rappel à l’ordre : il ne peut y avoir de succès tactiques et stratégiques sans prise de risques. »

 

Opération Dragoon en Provence, la liberté vient de la mer

Le débarquement de Provence fut avant tout une volonté française. Churchill était opposé à cette opération car il considérait qu’il fallait continuer en Italie ou dans les Balkans. De Gaulle a réussi à l’imposer pour des raisons de politique intérieure et de restauration de la souveraineté française.

A l’aube du 15 août, trois divisions amé­ri­caines commandées par le général Patch, suivies le lendemain par les trois divisions françaises du général de Lattre de Tassigny, sont débarquées entre Hyères et Cannes. Elles sont appuyées sur les arrières de l’ennemi par le parachutage d’une division anglo-américaine, et sont précédées par des raids commandos nocturnes. Il s’agit de prendre pied en Provence pour remonter par la vallée du Rhône, ce qui permettra d’opérer la jonction avec les forces débarquées en Normandie, et à terme de couper l’Allemagne des ports atlantiques. La participation fran­çaise à Dragoon est considérablement plus importante que pour Overlord : à terre, il y a quasi-parité avec les Américains, avec la 1re armée française qui comprend notamment le 1er régiment de fusiliers marins. Deux des trois forces commandos sont françaises, dont le groupe d’assaut naval de Marine Corse du commandant Seriot. Sur mer, on compte 34 navires de guerre français, presque le triple de ce qui était présent pour Overlord, dont le cuirassé Lorraine et six croiseurs qui assurent l’appui-feu.

Victoire éclair en Provence

En supériorité numérique et matérielle, les Alliés progressent beaucoup plus vite que prévu. Le 19 août, les Allemands se replient vers la vallée du Rhône, à l’exception des places de Marseille et Toulon qui ont ordre de tenir jusqu’au bout. Ces dernières se rendent le 28 aux troupes françaises, alors que les Anglo-Américains atteignent les rives du Rhône et les Alpes-de-Haute-Provence. L’opération Dragoon, planifiée sur deux mois, a atteint ses objectifs en deux semaines. Mieux encore, la nouvelle du repli allemand a été un des éléments déclencheurs de l’insurrection parisienne du 19 août. Le 12 septembre, les forces alliées débarquées en Provence et en Normandie effectuent leur jonction à Nod-sur-Seine, en Côte-d’Or.

Une unité retrouvée dans le combat

Pour la Marine nationale, le débarquement de Provence fait acte de réunification entre les éléments séparés voire dressés les uns contre les autres par la défaite de 1940 : FNFL de Grande-Bretagne ou ralliés depuis l’empire colonial, ceux de la force X internés à Alexandrie, la marine d’Afrique du Nord sous contrôle de Vichy jusqu’en 1942, et même les marins engagés dans les forces françaises de l’intérieur. Ayant pris, volontairement ou contre leur gré, des chemins différents quatre ans plus tôt, ils se trouvent maintenant réunis en force sur les côtes varoises pour reconquérir le sol métropolitain, notamment Toulon, d’importance tant stratégique que sentimentale pour la Marine.

Le débarquement oublié

Pendant longtemps, c’est le débarquement de Provence et non de Normandie qui s’est trouvé au centre du discours mémoriel, en raison d’une participation française plus marquée. Pour le vingtième anniversaire, en 1964, le général de Gaulle privilégie ainsi l’inauguration du mémorial du Mont-Faron et ne se rend pas sur les plages de Normandie. Mais bien vite, Overlord prend le dessus dans la mémoire publique, que ce soit dans la culture populaire, l’enseignement scolaire et même les hommages nationaux. Lié directement à la libération de la capitale, fortement valorisé à l’international par le cinéma américain à partir des années 1960, le débarquement de Normandie a aussi, dans le contexte de la Guerre froide, l’avantage sur celui de Provence d’impliquer de nombreux pays désormais membres de l’alliance atlantique et de la communauté européenne. Néanmoins, la mémoire du débarquement de Provence reste vive localement. Elle est redynamisée sur le plan national à partir du cinquantenaire en 1994, notamment sous l’angle des combattants africains de la 1re armée.

 

Marins des débarquements

André-Georges Lemonnier, capitaine de corvette Hubert Amyot d'Inville, groupe naval d'assaut

Vétéran des deux guerres mondiales, ayant participé aux deux débarquements de 1944, l’amiral André-Georges Lemonnier est né le 24 février 1896 à Guingamp. A l’âge de 17 ans, il est admis à l’École navale en 1913 et en sort major de promotion. Dès la Première Guerre mondiale, il sert à bord de divers navires et sous-marins. Capitaine de frégate en 1933, il prend le commandement du contre-torpilleur Le Malin. En 1940, il est capitaine de vaisseau et commande le croiseur léger Georges Leygues.

Après l’armistice, il reçoit l’ordre de rejoindre Libreville, mais se retrouve bloqué à Dakar. Il se rallie au général de Gaulle en novembre 1942 qui le nomme chef d’état-major de la Marine en juillet 1943.

En Normandie …

L’amiral Lemonnier dirige dès 1943 les opérations navales de la libération de la Corse puis s’emploie à réconcilier les marins de l’armée d’armistice et ceux des FNFL. « Un seul principe nous guidait : nous voulions que nos navires fussent au premier rang, à l’heure de l’assaut », écrit l’amiral dans son ouvrage Paisible Normandie. Lors du Débarquement, l’état-major allié avait prévu d’inclure seulement quelques bâtiments français légers. Lemonnier réussit à convaincre le First Sea Lord d’accorder une place plus importante à la Marine française. Une dizaine de navires français seront du D Day dont le Georges Leygues et le Montcalm.

… comme en Provence

À la tête de l’escadre française en tant qu’adjoint de l’amiral américain Hewitt, André-Georges Lemonnier est directement impliqué dans le débarquement de Provence, le 15 août 1944. « Le choix de la zone d’assaut ne demande pas de longues études…, détaille l’amiral français dans Cap sur la Provence, récit qu’il fit du débarquement de 1944. Il ne reste qu’un secteur convenable : la région de Saint-Tropez – Saint-Raphaël […], la décision est vite prise. » Lemonnier entre dans le port de Toulon le 13 septembre à bord du Georges Leygues, accompagné du reste de l’escadre française. Au lendemain du conflit, il occupera les fonctions de directeur du Collège de défense de l’OTAN et d’adjoint naval du général Eisenhower au grand quartier général des forces alliées en Europe (SHAPE). Secrétaire perpétuel de l’Académie de Marine, il termine sa carrière en 1956 au grade d’amiral et s’éteint à Cherbourg le 30 mai 1963 à l’âge de 67 ans.

Le 10 juin 1944, au volant de sa Jeep, le capitaine de corvette Hubert Amyot d’Inville, commandant du 1er régiment de fusiliers marins (RFM), file sur les routes en direction de Montefiascone, ville italienne à 80 kilomètres au nord de Rome. Il n’atteindra jamais la ligne de front. Son véhicule saute sur une mine, et il meurt sur le coup. Il avait 35 ans. Cet ancien capitaine au long cours de la Marine marchande est incorporé, en 1940 comme enseigne de vaisseau de réserve. Il prend le commandement du dragueur de mines La Trombe avec lequel il participe à la bataille de Dunkerque. Son navire y est coulé. Il en réchappe et réussit à rallier Londres pour s’engager dans les forces navales françaises libres (FNFL). Affecté au 1er bataillon de fusiliers marins (BFM), il est présent à Dakar lors des affrontements qui opposent la marine britannique et quatre navires des FNFL à des troupes du gouvernement de Vichy. Lors de la campagne de Syrie en juin 1941, son commandant, le lieutenant de vaisseau Détroyat, est tué. Amyot d’Inville lui succède. Il mène ses hommes lors des batailles de Bir Hakeim et d’El-Alamein en 1942, puis pendant la campagne de Tunisie en 1943. Désormais capitaine de corvette et à la tête d’un régiment (le 1er BFM est devenu le 1er RFM), il s’engage dans son ultime campagne en Italie. 80 ans plus tard, la Fondation de la France Libre lui a rendu hommage en faisant installer, lors d’un voyage mémoriel le 19 mai 2024, une plaque commémorative à l’endroit où il est tombé. Les autorités françaises, italiennes ainsi que l’amicale nationale des fusiliers marins étaient présentes. Sa mémoire perdure aussi à travers le bataillon de fusiliers marins basé à Brest qui porte son nom depuis 2020.

 

 

Le plus jeune, Pierre Dourous, venait d’avoir 20 ans. Son chef, le capitaine de corvette Géraud Marche, en avait 39 : commandant du groupe naval d’assaut de Corse, il avait été officier des sports à l’École navale. Avec son équipe de rugby, il avait même raflé le titre de champion de France de la Marine. Le 15 août 1944 à minuit quinze, tous deux sautent sur des mines allemandes dissimulées dans la roche ferrugineuse de la pointe de l’Esquillon. Un décor paradisiaque pour un scénario de film d’horreur. Sur les 67 hommes du commando, onze sont tués sur le coup, des dizaines laissés dans un état grave et de nombreux hommes faits prisonniers.

Tous volontaires, ils appartenaient au groupe naval d’assaut créé en 1943 par le contre-amiral Robert Battet pour collecter des renseignements, en particulier sur les côtes italiennes. Il incombe au groupe de débarquer personnel et matériel, de nuit, sur des radeaux pneumatiques. En ce 15 août, leur but est de se frayer un passage au travers des défenses allemandes et de gagner la corniche d’or (route nationale 98) proche et la route nationale 7 distante, elle, de plus de cinq kilomètres. Ces deux voies sont vitales : il faut empêcher les Allemands de gagner Saint-Raphaël et Fréjus, où la 36e division d’infanterie américaine va débarquer. Malheureusement, la mission se solde par un échec.

Dans le Cols bleus n° 363 du 28 août 1954, l’un des survivants, l’ingénieur mécanicien en chef Chaffiotte, avait décrit la mission très périlleuse de ces marins ayant mis un pied sur la côte varoise, avant toutes les autres unités débarquées : « Le 14 août, nos vedettes stoppaient à 1 500 mètres dans le sud du Trayas, à l’ouest de Cannes […] Nous étions fiers d’être les premiers à reconquérir le sol de notre pays. […]. La première route à atteindre était environ à deux cents mètres. La progression se faisait silencieuse, rapide. Déjà, l’officier en tête de la colonne, l’ORIC (officiers de réserve interprète et du chiffre, NDLR) Auboyneau avait parcouru une centaine de mètres, quand il sauta sur une première mine. »

80 ans plus tard, Paul Meyere a voulu « mettre un visage sur les noms inscrits dans la stèle érigée au-dessus de la calanque des deux frères à Théoule ». Aidé de Benoît Senne, ancien commando Marine, et de Paul Catania, il a contacté une quarantaine de familles de vétérans ou de marins disparus. Un ouvrage devrait bientôt paraître en hommage à ces hommes morts pour la France.

Après la plage, objectif Berchtesgaden, finir la guerre

Le 8 mai 1945, l’Allemagne capitule. Un résultat obtenu moins d’un an après les débarquements grâce à de très nombreux exploits militaires, auxquels les unités de la Marine ont pris part. Cols bleus les remet en lumière, rappelant ainsi le courage et la valeur de ces marins, qu’ils soient issus des Forces navales françaises libres (FNFL), de la Marine de l’armée d’armistice ou des Forces françaises de l’intérieur (FFI)

Le 1er régiment de fusiliers marins (1er RFM)

« L’officier des équipages Colmay, avec ses mitrailleuses, disperse les allemands qui, enhardis, se risquent sur la route. Il n’a pas trente hommes en tout. Tant pis, il tiendra son carrefour héroïquement jusqu’à la nuit. Il tiendra malgré l’ordre de repli du commandant». Cet extrait de l’article de L’EV Guillemin paru dans le Cols bleus n° 34 du 12 octobre 1945 relatant la libération d’Autun (71), illustre l’état d’esprit des marins du 1er RFM. Débarqué le 16 août à Cavalaire (83), le régiment, après avoir vaillamment participé à la reprise de Toulon, n’a pas connu d’engagement sérieux depuis. Les 6, 7 et 8 septembre, la mission du 2e escadron est, avec le concours d’unités de l’armée de Terre et d’un groupe de FFI, d’intercepter à Autun une colonne allemande de 4 000 hommes. Constitué dès 1940 à Londres, le 1er RFM a été de tous les combats de la France libre avant de mener ceux de la libération de l’Hexagone. Après Autun, ce seront les durs combats dans les Vosges et en Alsace. Envoyé sur l’Atlantique pour participer à la réduction de la poche de Royan, le 1er RFM est rappelé d’urgence en Alsace pour parer à la contre-attaque allemande de décembre 1944. Enfin, en avril 1945, il participe aux combats du massif de l’Authion dans les Alpes du Sud où s’est retranché l’ennemi. Le régiment est l’une des trois unités FNFL à avoir été fait Compagnon de la Libération.

Le 1er bataillon de fusiliers marins commandos (1er BFMC)

Placé sous les ordres de Philippe Kieffer, il est créé au printemps 1942. Avant le Débarquement de Normandie, le 1er BFMC est intégré au commando n° 4 appartenant à la Special Service Brigade commandée par Lord Lovat. Après leur emblématique débarquement sur Sword Beach le 6 juin 1944, ils combattent dans la campagne normande jusqu’au 27 août. à cette date, seuls 24 hommes sur 177 sont indemnes. En novembre, ils reprennent la lutte lors de la bataille de l’Escaut qui vise à libérer le port d’Anvers. Avec le commando n° 4, dont Philippe Kieffer est maintenant le commandant en second, ils débarquent sur l’île néerlandaise de Walcheren et y neutralisent l’ennemi. Les sept commandos Marine actuels sont les héritiers du 1er BFMC dont ils ont repris l’iconique béret vert.

Le régiment blindé de fusiliers marins (RBFM)

Créé en octobre 1943 en Afrique du Nord, le RBFM est principalement constitué de marins de l’armée d’armistice d’Afrique du Nord, renforcés par des recrues. Il est équipé de chasseurs de char M10 Wolverine, de scout cars M3A1 et de Half-Track. Il est intégré à la 2e division blindée (2e DB) du général Leclerc et débarque en Normandie en août 1944. Premiers combats dans les secteurs d’Alençon et Argentan (61). Puis ce sera la libération de Paris où, sous les yeux de Parisiens médusés, l’un des Wolverine touche à deux reprises, depuis le haut des Champs, un char ennemi embusqué place de la Concorde (soit 1 800 mètres), un exploit pour l’époque. Les marins avaient remplacé les lunettes de visée d’origine de leur char par celles de canons de Marine. Après la capitale, le RBFM poursuit son aventure avec la 2e DB : Dompaire, Baccara, les Vosges, Strasbourg, la dure bataille d’Alsace. Un retour en arrière pour liquider la poche de Royan et enfin l’Allemagne avec la ruée vers Berchtesgaden. Parmi les marins du RBFM, figurait un certain Philippe de Gaulle, alors enseigne de vaisseau, décédé en mars dernier, et le second maître fusilier marin Jean-Alexis Moncorgé, chef du char Souffleur II, plus connu sous son nom de scène : Jean Gabin.

La flotte française

Une fois la protection des convois et l’appui feu des débarquements effectués, la flotte française ne reste pas inactive. En Méditerranée, la  flank force affronte les dernières unités de la Kriegsmarine dans le golfe de Gêne et bombarde la côte italienne où l’ennemi s’est retranché. À l’ouest, afin d’en interdire l’utilisation aux Alliés et de continuer la lutte, des milliers d’Allemands se sont retranchés dans plusieurs ports. Ces zones prennent le nom de poches de l’Atlantique. Cinq seront reprises avant octobre 1944 à un prix exorbitant. Pour les autres, il est décidé d’en faire le siège. Il faut empêcher l’ennemi de nuire depuis ces poches. La flotte française va en assurer le blocus. En avril 1945, l’assaut de la poche de Royan et de l’île d’Oléron est ordonné par le gouvernement français. Le bataillon de fusiliers marins FFI de Rochefort appuyé par 10 navires français, des aéronefs de l’aéronautique navale, ainsi que le régiment de canonniers marins, constitué en Afrique du Nord et ayant rallié l’Hexagone en octobre 1944, participent aux combats. Les dragueurs de mines entament pour leur part le déminage des eaux du littoral, une tâche encore inachevée à ce jour. Enfin, dans l’IndoPacifique, le cuirassé Richelieu, intégré à une force navale britannique, combat les Japonais.

Les FFI de la Marine

Lorsque les Alliés libèrent l’Hexagone, bon nombre de marins démobilisés en 1940, après le sabordage de Toulon ou encore de l’armée d’armistice, forment ou rejoignent des unités FFI avec l’idée d’en découdre avec l’ennemi. C’est le cas pour l’École navale de la Marine de Vichy réfugiée à Clairac (47) au nord d’Agen ou encore de l’école d’apprentissage de la direction des constructions et armes navales (DCAN), réfugiée quant à elle à Jausiers (04) au fond de la vallée de l’Ubaye. Ailleurs, les anciens marins se regroupent et forment spontanément des unités : bataillon de fusiliers marins de Rochefort, bataillon de marche de Lorient, bataillon de marche du Finistère, bataillon de fusiliers marins de Dunkerque, etc. Face à ce foisonnement, le ministre de la Marine du gouvernement provisoire, Louis Jacquinot, décide de les regrouper sous un commandement unique en créant le 4e régiment de fusiliers marins. Le temps manquera pour toutes les amalgamer mais elles participent aux sièges et à l’assaut des poches de l’Atlantique restantes, permettant ainsi aux unités régulières de foncer vers l’Allemagne.

Marins des débarquements, 80 ans après