Narcotrafic, une lutte permanente
Publié le 01/08/2023
Chaque année, plusieurs dizaines de tonnes de stupéfiants sont saisies par la Marine nationale autour du globe (44,7 tonnes saisies en 2022, soit 1,92 milliard d’euros).
Océan Indien, golfe de Guinée, mer Méditerranée
Selon la zone maritime, les vecteurs utilisés par les narcotrafiquants varient tout comme les moyens déployés par la Marine nationale et les partenaires avec lesquels elle mène la lutte contre le trafic de stupéfiants. Depuis le début de l’année 2023, à la date de rédaction de ce dossier, treize saisies ont été effectuées par la Marine nationale dont huit en océan Indien, quatre aux Antilles et une en Atlantique. Ce sont 16 tonnes de drogue (représentant une valeur marchande de 260 millions d’euros) dont le produit de la vente ne financera pas les réseaux criminels et terroristes. Si les Antilles constituent une région particulièrement concernée par ce trafic, d’autres régions du globe sont touchées par ce phénomène. Parmi elles, l’océan Indien, le golfe de Guinée ou encore la mer Méditerranée. Des voies maritimes denses, accaparées par le commerce mondial, au sein desquelles tentent de se glisser les narcotrafiquants. Grâce à ses moyens prépositionnés ou déployés depuis la métropole, la Marine y mène d’importantes campagnes de lutte contre le trafic de stupéfiants.
Nation de l'océan Indien : Aux côtés des alliés
Grâce à l’opération européenne Atalanta, initiée en 2008, les actes de piraterie au nord-ouest de l’océan Indien ont largement diminués. À tel point que, depuis le 1er janvier 2023, l’Organisation maritime internationale (OMI) ne reconnaît plus la région comme « zone à haut risque ». Fort de ce succès, en 2021, le Conseil de l’Union européenne décide d’élargir l’éventail d’action d’Atalanta à, entre autres, la lutte contre le trafic de drogue. Un spectre de missions plus large auquel participe la Marine grâce à ses moyens déployés ou stationnés dans la région.
En plus d’Atalanta, les moyens français sont déployés au sein d’une coalition navale internationale, les combined maritime forces (CMF). Créée en 2001 par les États-Unis, cette coalition réunit 38 nations et oeuvre pour la sécurité maritime au nord de l’océan Indien, de la mer Rouge jusqu’au golfe Arabo-Persique. Depuis Bahreïn, l’état-major coordonne cinq forces opérationnelles, ou combined task forces (CTF). Parmi elles, la CTF150 oeuvre à assurer la sécurité maritime et la lutte contre les trafics illicites en mer d’Arabie et au profit de laquelle la Marine nationale déploie ses moyens.
Sur les huit saisies de stupéfiants effectuées en océan Indien par la Marine nationale depuis début 2023, quatre s’inscrivent dans le cadre de la mission Atalanta et trois dans le cadre de la TF150. Les bâtiments sont engagés dans l’une ou l’autre des opérations selon le besoin. « C’est ce que l’on appelle en anglais le dynamic tasking, précise le lieutenant de vaisseau (LV) Adrien, officier traitant à l’état-major des opérations Marine. La Marine nationale échange constamment avec les nations partenaires pour collecter et partager le renseignement. Selon la situation, le commandant de la zone maritime de l’océan Indien (ALINDIEN) décide sur quelle opération nos bâtiments vont être envoyés. » Dernière saisie en date : 2,1 tonnes de résine de cannabis à bord d’un navire de pêche par la frégate de type La Fayette Surcouf fin mai 2023.
Deux axes identifiés
Dans cette zone maritime du globe, les narcotrafiquants utilisent principalement des « boutres ». Ces navires traditionnels originaires de la mer Rouge naviguent lentement, à une dizaine de nœuds, et se ressemblent tous. Plus facile donc pour les narcotrafiquants de se fondre dans la masse. Ces derniers empruntent l’une des deux principales routes maritimes de la drogue dans la région. La « Smack Track » en argot américain « la piste de l’héroïne », connecte le nord de la mer d’Arabie au sud-est de la côte africaine puis éventuellement jusqu’en Europe. Et la « H-highway » pour « l’autoroute du haschich », qui quitte le Pakistan, enroule toute la péninsule Arabique pour remonter vers la mer Rouge et rejoindre la Méditerranée.
Pour mener à bien la lutte contre ces trafics illicites, ALINDIEN dispose des moyens des Forces françaises aux Émirats arabes unis (FFEAU) et peut également avoir recours aux moyens prépositionnés auprès des forces armées en zone Sud de l’océan Indien, basées à La Réunion, mais aussi des forces françaises stationnées à Djibouti. Cela comprend deux frégates de surveillance, un patrouilleur et occasionnellement un Atlantique 2 et un Falcon 50 Marine. « Chaque navire militaire français qui transite dans l’océan Indien peut participer à des missions de lutte contre le trafic de drogues, précise le LV Adrien. Ce fût notamment le cas lors de la dernière mission Jeanne d’Arc où les deux navires ont intégré Atalanta pour quelques jours ». En effet, le 2 mars 2023, le porte-hélicoptères amphibie (PHA) Dixmude et la frégate La Fayette, alors en mission Jeanne d’Arc autour du monde, saisissent plus d’une tonne de stupéfiants en mer d’Arabie (573 kg de cannabis, 210 kg de métamphétamines et 307 kg d’héroïne et d’opiacés).
Depuis janvier 2023, près de sept tonnes de drogues ont été saisies en océan Indien. Systématiquement dans cette région du globe, lorsque la drogue est saisie, elle est détruite. Cela permet au bâtiment militaire de poursuivre sa mission sans avoir à détourner sa route pour rapatrier la cargaison.
Golfe de Guinée : opération Coymbe
La lutte contre le narcotrafic dans le golfe de Guinée s’inscrit dans le cadre de l’opération française Corymbe. Mise en place en 1990, cette dernière œuvre pour la sécurité maritime régionale à travers un mandat doté d’un vaste panel de missions, de la lutte contre la piraterie et les trafics illicites (humains, armes, drogues…) à la formation des marines riveraines du golfe. Depuis la mise en place du processus de Yaoundé en 2013 (initiative lancée par les chefs d’État et de gouvernement riverains du golfe de Guinée, du Sénégal à l’Angola, pour accroître la sécurité des espaces maritimes), la Marine coopère avec les États riverains. Ainsi, depuis plus de trente ans, elle déploie de manière quasi permanente un bâtiment dans la région.
Les navires déployés dans le cadre de l’opération sont principalement des patrouilleurs de haute-mer (PHM). Des frégates de surveillance (FS) ainsi que des porte-hélicoptères amphibies (PHA) peuvent également être présents. Dans les airs, le Falcon 50 positionné à Dakar (Sénégal) est systématiquement déployé pour les missions de lutte contre le narcotrafic. Ces interventions sont bien souvent menées en haute mer sur des navires empruntant la route transatlantique entre l’Amérique du Sud et l’Afrique pour acheminer de la cocaïne qui sera ensuite transférée vers l’Europe par voie terrestre. « La zone que nous surveillons tout particulièrement s’étend au large du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée, jusqu’au sud des îles Canaries », pointe le capitaine de corvette Pauline, adjoint au chef du plateau Afrique à la division des opérations du commandant en chef pour l’Atlantique. Des saisies dans la profondeur qui permettent d’appréhender d’importantes quantités de drogue, avant qu’elles ne soient dispersées sur le territoire national.
Renseigner pour agir
De concert avec les alliés du Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants (MAOC-N), la Marine nationale identifie les navires suspects avant d’intervenir. Agence internationale de coordination créée en 2007 à l’initiative de la France, le MAOC-N est basé à Lisbonne et est alimenté par des renseignements provenant des différents pays membres. « La Marine nationale dispose d’un officier de liaison en permanence au MAOC-N. Ce dernier tient les unités françaises informées du renseignement à disposition et permet de maintenir un lien constant avec nos alliés pour mener au mieux nos opérations dans le golfe de Guinée », ajoute le CC Pauline.
Chaque mission de lutte contre le narcotrafic dans le golfe de Guinée est donc soigneusement planifiée à l’avance dans un effort collectif. Le CC Pauline précise : « Nous identifions les navires d’intérêt grâce au renseignement français ou allié puis préparons l’action avec la division de l’action de l’État en mer et le procureur de la République de Brest. Nos actions rentrent dans le cadre de la convention sur le droit de la mer et la convention de Vienne. » Des missions menées sur un spectre de clients très vaste. Du simple voilier de pêche à des navires de types supply d’une cinquantaine de mètres, voire des vraquiers d’une centaine de mètres de long, les marins doivent être prêts à toute éventualité.
Avec nos partenaires africains
Dans le cadre de la mission Corymbe, la Marine nationale contribue à renforcer les capacités des marines riveraines du golfe de Guinée à lutter contre les trafics illicites. Des missions sont donc menées conjointement avec les partenaires africains. Le CC Pauline note qu’aujourd’hui « le Sénégal et la Côte d’Ivoire se déploient en haute mer, à plus de 150 nautiques (280 kilomètres) de leurs côtes ». La Marine nationale s’entraîne donc régulièrement avec ces derniers. Ensemble, ils identifient le navire suspect et l’interceptent. Au fil des années, une confiance s’est établie avec ces pays. Ils sont désormais reconnus et intégrés par le MAOC-N qui leur partage le renseignement nécessaire.
Mer Méditerranée : un exemple métropolitain
Le narcotrafic n’est pas cantonné aux espaces maritimes lointains : les mers bordant les côtes métropolitaines sont également concernées, de la mer du Nord à la Méditerranée en passant par l’Atlantique. Les trafiquants savent toutefois qu’il est vain d’essayer d’aborder les côtes françaises car elles sont surveillées. Elles le sont, par la Marine nationale avec son réseau de sémaphores, ses moyens aériens et navals mais également par la Gendarmerie maritime, les Douanes ou encore la Gendarmerie territoriale. Si les narcotrafiquants évitent nos côtes ils peuvent toutefois emprunter des routes qui passent à portée de nos moyens d’intervention et progressent sensiblement dans l’acheminement des marchandises illicites par conteneurs vers les plateformes portuaires. Zoom sur la Méditerranée, qui voit transiter chaque année 30 % des navires marchands du monde.
La majorité du trafic de stupéfiant en Méditerranée concerne la résine de cannabis. Cependant, les trafiquants n’hésitent pas à troquer occasionnellement leur cargaison habituelle contre des produits plus exotiques : cocaïne en provenance d’Amérique du Sud ou opiacés du Levant. Pour pénétrer le marché européen ils transitent vers la Méditerranée centrale et orientale où les côtes sont moins surveillées et les organisations mafieuses très implantées. Si entre le Maroc et l’Espagne les narcotrafiquants filent d’une côte à l’autre sur des go-fast, dans la zone où la Marine opère, ce n’est pas le cas. Dans cet espace situé au large, et en dehors de toute zone économique exclusive, les trafiquants font profil bas. Ils utilisent des slow movers, c’est-à-dire des bateaux de pêche, des voiliers ou de petits cargos transformés pour transporter de la drogue.
Un vrai travail d'équipe
La lutte contre les narcotrafics en Méditerranée présente plusieurs aspects. L’ensemble des moyens de la Marine contribue, dans le cadre de leurs missions journalières en Méditerranée, à la collecte de renseignement. Il peut s’agir de renseignement d’origine électromagnétique, image, humaine ou acoustique. Parmi ces données, certaines concernent le narcotrafic et sont transmises aux organismes chargés de les analyser, comme le MAOC-N, l’office antistupéfiants (OFAST) ou la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). L’autre aspect de la lutte est l’interception des narcotrafiquants. Il s’effectue selon deux méthodes. La première est opportuniste : l’un des organismes en charge de la lutte contre le trafic de drogue (DNRED, OFAST…) obtient un renseignement concernant un navire. Il demande alors au préfet maritime de la Méditerranée si un moyen de l’État est en mesure de mener une enquête en mer. La seconde consiste en une opération planifiée. La Marine et la Douane coopèrent régulièrement. Le patrouilleur hauturier de la direction nationale garde-côtes des douanes (DNGCD) Jean-François Deniau associé à un navire de la Marine mène ce type d’opérations hauturières. Leur planification est décidée sur la base de renseignements analysés. Les navires de surface sont appuyés par des moyens aériens (Marine, Douane...). Une cellule interministérielle à la préfecture maritime, réunissant les représentants des services participants et le parquet du tribunal judiciaire de Toulon, statue sur l’opportunité de visiter le navire suspecté. En suivant l’avis du Parquet, une procédure respectant la convention de Vienne est lancée. Celle-ci vise à solliciter le pays d’origine du navire suspecté afin d’obtenir l’autorisation de monter à bord. Une fois cette dernière obtenue, l’intervention et le contrôle en mer sont déclenchés. Lorsque de la drogue est découverte à bord, le procureur peut décider soit le déroutement du navire vers Toulon afin de procéder à l’inculpation des trafiquants soit de recourir au concept de la dissociation. « C’est un vrai travail d’équipe, la Douane amène son expérience dans le domaine de la fouille, la Marine ses techniques d’assaut en mer et de visite d’un navire mais surtout sa capacité à coordonner l’opération puisque celle-ci est pilotée par le centre opérationnel du commandement de la zone maritime Méditerranée (CECMED) » nous précise l’inspectrice régionale des douanes Virginie, chef du bureau de la coordination de la division de l’action de l’État en mer de la préfecture maritime de Toulon.