Virginie Hériot, une navigatrice au sommet de l’Olympe
Publié le 13/09/2024
Première femme championne olympique de voile au sein d’un équipage masculin à Amsterdam en 1928, Virginie Hériot a popularisé la pratique de la voile et l’esprit du yachting. Surnommée « Madame de la Mer » par le poète indien Rabindranath Tagore et qualifiée de « Greatest yachtwoman in the world » par les Britanniques, elle était aussi écrivain, icône de mode, une richissime héritière et marraine de l’École navale.
Il y a cent ans, presque jour pour jour, pour les Jeux Olympiques d’été de 1924 à Paris, Virginie Hériot manque sa qualification. Quatre ans plus tard, aux JO d’Amsterdam 1928, elle tient sa revanche en prenant la tête d’un équipage de cinq hommes (le barreur Donatien Bouché, Carl de la Sablière, André Derrien, André Lesauvage et Jean Lesieur). à bord d’Aile VI, un splendide yacht gréé pour la course, elle remporte deux régates sur six dans la catégorie des huit mètres et s’ouvre les portes de la finale. Le 9 août 1928, après sept jours de compétition sans merci dans une mer démontée, elle offre à la France la médaille d’or olympique, avec 46 secondes d’avance sur la Suède et 1 minute 41 secondes devant les Pays-Bas. Un véritable exploit, confirmé par sa victoire à la Coupe d’Italie. L’année suivante et toujours sur Aile VI, elle réussit à reprendre la Coupe de France aux Anglais et rafle celle du Roi d’Espagne. En 1931, avec 9 minutes et 40 secondes d’avance, la championne olympique poursuit sa fulgurante ascension en emportant haut la main le duel qui l’oppose au trois-mâts Sonia sur le parcours Ryde – Le Havre – Ryde.
Madame la Mer
Au firmament de sa carrière, plus rien ne l’arrête. Dans le monde du yachting, Virginie est une légende. Sa volonté de fer, son goût pour les défis et son assurance naturelle, malgré sa frêle apparence et son regard un peu mélancolique, lui permettent de faire bouger des montagnes. « Personnalité très influente, véritable icône de la voile de compétition des années folles, Virginie Hériot fascine autant les personnalités politiques, qui la couvrent d’honneurs, que les élites sociales, les capitaines d’industrie et le grand public de son époque, fait remarquer Anne Belaud-de Saulce, conservatrice en chef du patrimoine et administratrice du Musée national de la Marine. Elle a voué sa vie à la mer et ses victoires dans un sport alors très largement dominé par les hommes lui assurent très vite une grande notoriété. »
Surnommée « Madame de la Mer » par le poète indien Rabindranath Tagore et qualifiée du titre de « Greatest yachtwoman in the world », par les Britaniques, finalement peu rancuniers, la première femme championne olympique au sein d’un équipage masculin fascine ses contemporains. Faite chevalier de la Légion d’honneur, elle est décorée du Mérite naval espagnol en 1930 par le roi Alphonse XIII en personne, puis reçoit les chevrons de quartier-maître d’honneur de la Marine nationale. Une distinction qui restera sans doute la plus importante à ses yeux.
Une adolescence passée sur les flots
Née en le 25 juillet 1890 au Vésinet (Yvelines), la jeune Virginie passe ses premières années dans l’atmosphère douce et insouciante de la luxueuse villa familiale du domaine de La Boissière, près de Rambouillet. Mais cette vie dorée est marquée par deux drames : la mort de son petit frère Jean, âgé de deux ans, et celle de son père en 1899. Elle n’est qu’une enfant lorsque son monde vacille. Zacharie Olympe Hériot, un homme d’affaires fortuné et patriote, ancien combattant de la guerre franco-prussienne de 1870-1871 et héritier des Grands Magasins du Louvre, a désigné sa femme Anne-Marie (dite Cyprienne) comme légataire universelle. Il laisse cependant à Virginie et à son frère Auguste une très généreuse part réservataire. à l’abri du besoin, elle garde cependant une profonde blessure, comme une part d’ombre, et l’intime conviction qu’il lui faut vivre l’existence avec passion et aussi vite que possible. Comme si tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. Adolescente, elle découvre la vie en mer au fil des longs mois de croisières à bord de Katoomba (rebaptisé plus tard Salvador), un grand yacht à vapeur que sa mère s’est offert. D’avril à juin 1904, à 14 ans, elle embarque avec son frère et sept amis de la famille. Défilent au gré des escales, Istanboul, Naples, Pompéi, Syracuse… En Méditerranée, elle s’initie à la navigation et fait notamment la rencontre du célèbre écrivain et officier de marine Pierre Loti. À 19 ans, elle a déjà parcouru plus de 40 000 milles et lorsqu’elle épouse, le 2 mai 1910, le vicomte François Marie Haincque de Saint Senoch, lui aussi passionné par la mer, elle sait que rien ne pourra étancher sa soif d’eau salée.
Navigatrice déterminée
Sa mère, née Anne Marie Dubernet et ancienne vendeuse au rayon corsets des Grands Magasins du Louvre, ne cache pas sa satisfaction. Le mariage de sa fille ouvre enfin aux Hériot la porte de l’aristocratie. Après une fastueuse lune de miel à bord du Salvador reçu en cadeau de mariage, elle a fait construire son premier yacht de course, l’Aile I, à bord duquel commence vraiment sa carrière de régatière. Le 5 janvier 1913, leur fils unique Hubert naît. Tout va pour le mieux et les époux songent à appareiller vers de nouveaux rivages, quand l’entrée en guerre de la France en août 1914 marque la fin du temps des croisières et l’arrêt des grandes régates en équipage. En 1918, Virginie tombe malade et doit subir une intervention qui la laisse stérile. Lentement son mariage s’étiole et en juin 1921, désormais divorcée, elle pose sa malle à bord du Finlandia, un imposant yacht à vapeur de 85 m de long qu’elle vient d’acquérir. Deux ans plus tard, « la plus grande propriétaire de yacht au monde » le remplace par Ailée, une goélette en acier de 44,94 m et de 400 tonneaux construite en 1909 à Kiel. En parallèle, elle fait construire plusieurs voiliers de compétition, disputant toujours plus de cent régates par an, et voyage à travers le monde. Elle y donne des conférences où elle popularise la pratique de la voile et s’efforce de promouvoir le savoir-faire français en matière de construction navale. Proche du commandant Jean-Baptiste Charcot, le grand explorateur des pôles, et du navigateur solitaire Alain Gerbault, elle écrit en même temps plusieurs ouvrages sur le monde de la mer, dont un recueil de poèmes, Une âme à la mer, distingué par l’Académie française. Elle fait aussi de nombreux dons au Yacht-Club de France et à l’École navale dont elle est la marraine et à qui elle offre notamment onze monotypes brestois et trois racers afin que les élèves-officiers puissent s’initier à la navigation à la voile. En 1931, échouant à réunir les dix hommes d’équipage nécessaires pour armer ses deux yachts, elle se retrouve dans l’impossibilité de défendre son titre olympique à Los Angeles. Au début de l’année 1932, Virginie Hériot se blesse grièvement (blessures au foie et deux côtes cassées) pendant une tempête entre Venise et la Grèce. Bravache et déterminée, elle refuse d’écouter ses proches qui l’exhortent de se reposer et de continuer sa convalescence, et décide de participer à la Régate du Cinquantenaire du club d’Arcachon. Peu de temps avant le départ, le 27 août, elle s’évanouit, puis fera un nouveau malaise au passage de la ligne d’arrivée. Le 28 août 1932, elle décède à bord de son bateau. Elle avait 42 ans. En hommage, la promotion 1932 de l’école navale porte son nom et, malgré les années, entre « Madame de la Mer » et la Marine nationale, le lien ne s’est jamais rompu.