Fusiliers marins, de Bir Hakeim à Lorient

Publié le 01/05/2022

Auteur : La Rédaction

Drapeau des fusiliers marins lors d'une cérémonie @ C. Charles / Marine nationale

Il y a 80 ans, au milieu du désert libyen, l’armée française relevait la tête. Depuis la campagne de France de mai et juin 1940, on la pensait brisée. Le général Kœnig et ses 3700 Français libres vont démontrer le contraire en remportant une victoire stratégique sur les forces du général Rommel. Parmi ces Français libres figurent les marins du 1er bataillon de fusiliers marins. Ils participent à la renaissance de la Marine et de ce qui est aujourd’hui la Force maritine des fusiliers marins et commandos. Le chemin de Bir Hakeim les aura menés jusqu’à Lorient.

Bataille de Bir Hakeim

Les fusiliers marins, sentinelles du ciel

Au sein de la 1re Brigade française libre, déployée à Bir Hakeim contre les forces de Rommel, figure le 1er Bataillon de fusiliers marins (1er BFM) sous le commandement du capitaine de corvette Hubert Amyot d’Inville. Déployés au Moyen-Orient, faute de bâtiments en nombre suffisant au sein des Forces navales françaises libres (FNFL), ces marins se voient attribuer des missions de défense contre avions (DCA). Issus de spécialités diverses, beaucoup d’entre eux ne sont, en réalité, pas fusiliers marins.

 

Composer avec les moyens du bord

Avant de se joindre aux forces britanniques, les marins français mettent la main sur plusieurs canons antiaériens, vestiges de la campagne de Syrie. Il est alors question d’armes françaises, usagées pour la plupart : une dizaine de canons de 25 mm et quelques canons Oerlikon accompagnés de deux mitrailleuses quadruples. Obsolète et dans un état discutable, l’équipement antiaérien français est dailleurs qualifié de « vilaines petites seringues » par le général Kœnig, tant les canons ne semblent pas effrayer les Stuka de l’aviation allemande. Au quotidien, les fusiliers marins en charge de la DCA doivent également composer avec l’épuisement rapide des munitions. Des spécialistes de l’artillerie britanniques commencent alors à former les Français aux manœuvres du canon Bofors. Malgré une instruction accélérée – moins de deux semaines au lieu de six mois –, les connaissances acquises par les marins français, fruits de longues séances de montage et démontage des armes britanniques, leur permettront finalement de détruire neuf appareils allemands une fois les hostilités lancées.

Certains marins s’illustrent au cours des affrontements. Le second maître Rey parvient ainsi à atteindre un avion ennemi qui, en basculant, en percute un second. En s’écrasant au sol, l’un des deux appareils coupe dans sa chute un camion en deux, d’un coup d’aile.

Au début du mois de juin 1942, Bir Hakeim subit de violents bombardements allemands. On dénombre pas moins de 1300 sorties pour les avions de la Luftwaffe, entre le 9 et le 11 juin. Dans le même temps, les fantassins allemands sont repoussés. Malgré la difficulté des combats et en dépit d’un appel à la reddition signé de la main du général Rommel, les Français ne hissent pas le drapeau blanc. Et les marins conservent leur moral. Les inquiétudes liées à la diminution des munitions disparaissent lorsque des camions anglais parviennent à acheminer plusieurs centaines d’obus supplémentaires.

 

Tenir la position jusqu'au dernier moment

Le 10 juin 1942, il est décidé, sur ordre du commandement britannique, d’évacuer Bir Hakeim. Les forces de l’Axe encerclent les soldats alliés déployés dans la zone. C’est dans la nuit du 10 au 11 juin que s’organise la sortie du périmètre. Les hommes du génie ouvrent un couloir dans la ceinture de mines autour de la garnison. Malgré les barrages du feu d’infanterie, les marins parviennent à sauver une grande partie du matériel. Ils récupèrent leurs véhicules et forment un convoi pour quitter Bir Hakeim. Les ordres sont clairs : rien ne doit tomber entre les mains de lennemi. « Je suis l’un des derniers à partir. J’ai accroché un canon antiaérien à mon camion anglais, cette boîte carrée qui mérite son surnom de pick-up. Il est plus de minuit, la nuit est noire. Je conduis à l’aveuglette. Rien ne permet, semble-t-il, de reconnaître le couloir déminé. Les véhicules avancent très lentement. Crispé sur mon volant, j’essaye de rester dans l’axe de la colonne. À gauche, à droite, des explosions. Des camions se sont un peu trop écartés et ont sauté sur des mines. Impossible de secourir les blessés [...] On avance à l’allure d’un homme au pas. Mais l’ennemi ne réagit que faiblement. Surpris, il ne comprend rien à ce qui se passe : ses factionnaires, son dispositif dalerte, sont débordés », raconte le maître principal Colmay, capitaine d’armes du 1er BFM (propos recueillis par René Guillemin, Cols bleus n° 69 du 21 juin 1946). En prenant l’ennemi par surprise, le général Kœnig parvient à arracher les deux tiers de sa brigade à l’encerclement des forces allemandes et italiennes. En manque d’eau et de munitions, les membres de la 1re Brigade française libre quittent le périmètre après 15 jours et 15 nuits de résistance acharnée face à des opposants très supérieurs en nombre. 

Un groupe de fusiliers marins déployé à Bir Hakeim pose devant un canon antiaérien
Un groupe de fusiliers marins déployé à Bir Hakeim pose devant un canon antiaérien

Chronologie de la bataille de Bir Hakeim

26 mai 1942 : Rommel donne l’ordre d’attaquer Bir Hakeim. 70 chars progressent en direction du camp.

28 mai 1942 : encerclement de Bir Hakeim par les forces de l’Axe.

3 juin 1942 : le général Rommel demande la reddition des troupes du général Kœnig.

6 juin 1942 : début de l’assaut.

Nuit du 10 au 11 juin 1942 : évacuation de la garnison.

Marin en train de lire un journal
Marin en train de lire un journal

15 jours de lutte dans le désert libyen

Mai 1942. Libye. Le DeutschesAfrikakorps relance son offensive. Dirigé par le général Erwin Rommel, appuyé par les divisions italiennes Ariete et Trieste, ce détachement de la Wehrmacht en Afrique du Nord se donne pour mission la prise du canal de Suez. Lors de leur évolution vers Tobrouk, le 26 mai 1942, les divisions blindées allemandes débordent par le Sud pour contourner la ligne de défense de la 8e armée britannique. Cette manœuvre de contournement implique un passage par Bir Hakeim, zone dans laquelle stationne la 1re Brigade française libre, placée sous les ordres du général Pierre Kœnig. Constituée au rythme des ralliements depuis la métropole et les colonies, la brigade rassemble au total plus de 3500 hommes de tous horizons et tous corps d’armées. Les troupes sont déployées sur place depuis le mois de février. Fin mai 1942, tous se préparent à l’offensive allemande. Les Alliés déployés à Bir Hakeim ont pour mission de retenir les forces de l’Axe durant dix jours. Le 11 juin 1942, la garnison est évacuée. C’est une victoire stratégique qui permettra les victoires futures des Alliés.

Témoignage

L’un des derniers survivants raconte

Le quartier-maître de 1re classe Paul Leterrier est né au Havre en 1922. Après avoir navigué dès l’âge de 15 ans sur les paquebots de la Compagnie générale transatlantique, il décide de s’engager dans la France libre en 1941 et de rejoindre les rangs du 1er bataillon de fusiliers marins (BFM). Aujourd’hui, il est le seul survivant parmi les fusiliers marins qui ont participé à la bataille de Bir Hakeim.

 

COLS BLEUS : Comment se sont passés les premiers mois dans le désert libyen ?

Paul LETERRIER : Je n’ai pas été tellement surpris. Le désert, c’est le désert. Ce n’était pas toujours très drôle. On avait fait des trous pour s’abriter, des trous individuels pour dormir et puis on avait des sacs de sable autour de nos pièces d’artillerie. Nos camions, on leur mettait le nez en avant, le moteur sous le niveau du sable afin de les protéger en cas de bombardement. À moins d’un coup en direct, ils étaient à l’abri. On n’avait pas assez d’eau et celle que l’on buvait n’était pas bonne, à tel point que j’ai attrapé la dysenterie amibienne. Ce n’était pas drôle, mais on avait tous un moral du tonnerre, ce qui est étonnant.

 

C. B. : Que faisiez-vous durant les premières semaines sur la position ? Vous attendiez ?

P. L. : Oui, mais j’ai été blessé à Bir Hakeim avant l’encerclement par un Me 109 en rase-mottes à 400 mètres du sol. Quand on l’a aperçu, il était trop tard. Il nous a criblés. Le camion qui était bâché, c’était une écumoire, mais le moteur n’a rien eu. Robin, qui était à l’extérieur, a été protégé par une roue du camion, mais Jourdan et moi, on était à l’intérieur et on a été blessés. Jourdan était blessé aux fesses, ce qui n’était pas trop grave, mais moi j’en avais plein le ventre. J’avais peur de perdre mes tripes. Je me tenais le ventre et je ne pouvais plus me relever. J’étais essoufflé. Et pour cause : javais un éclat dans le poumon. Jai ensuite étéévacué sur Alexandrie, où on m’a soigné et dès que j’ai été un peu mieux on m’a envoyé à la maison de convalescence des Français libres.

 

C. B. : Vous êtes resté là quelques semaines ?

P. L. : Je ne suis pas resté longtemps, parce qu’on ne vous gardait pas plus qu’il ne fallait. J’ai donc rejoint – et j’en étais bien content – mon bataillon, alors que j’avais encore des pansements au ventre. Mais j’étais tout content d’être rentré. C’est l’infirmier du bataillon qui m’a fait mes derniers pansements, car mes plaies s’étaient rouvertes à cause des secousses sur la piste. J’avais perdu beaucoup de forces et j’avais du mal à soulever les caisses de munitions. Le lendemain, les Italiens attaquaient.

 

C. B. : Quel souvenir avez-vous de l’attaque italienne du 27 mai ?

P. L. : C’était un spectacle sensationnel. Une colonne blindée qui vous fonce dessus, c’est un sacré spectacle, mais on était tous optimistes et on les a arrêtés.

 

C. B. : Pourriez-vous nous raconter l’encerclement de Bir Hakeim ?

P. L. : Ça a été de pire en pire avec des bombardements de Stukas tous les jours. Ils pouvaient bien viser et prenaient soin de se mettre dans le soleil pour arriver sur nous, ce qui fait qu’on tirait un peu au hasard. On ne pouvait pas être précis. Il y en a eu quelques-uns d’abattus, mais moins que si on avait eu une bonne visibilité.

Quand l’aviation se déclenchait, l’artillerie aussi et l’infanterie essayait de faire des percées avec les blindés. C’était une vraie sarabande, mais on a tenu le coup. Le moral était excellent. On avait peur, bien sûr. Il faudrait être idiot pour dire qu’on n’a jamais eu peur, ou alors cinglé.

Le 9 juin, j’ai été blessé une deuxième fois par un tir d’artillerie. J’avais un éclat chauffé à blanc dans la cuisse gauche. Je me le suis retiré moi-même, en me brûlant les doigts, mais il fallait à tout prix le faire car c’était une douleur intolérable. Il grésillait dans ma cuisse comme du beurre dans une poêle à frire. Je l’ai arraché et il est tombé dans le sable. Quand il a été refroidi, j’ai retiré les morceaux de chair et je l’ai mis dans ma poche. Je l’avais confié à ma marraine de guerre, qui l’a conservé et me l’a rendu après-guerre. Je l’ai toujours aujourd’hui. Après cela, Vallun m’a versé de l’alcool à 90° sur la blessure et m’a posé un pansement, et je suis resté à mon poste.

 

C. B. : Comment s’est passée l’évacuation de la position ?

P. L. : Le lieutenant de vaisseau Ielhé1 nous a prévenus qu’il allait falloir évacuer. On a donc détruit tout ce qu’on ne pouvait pas emporter. Heureusement qu’il y avait la nuit avec un fort vent de sable qui nous a permis de nous faufiler et de sortir, car sinon, on n’aurait jamais pu le faire. Notre pièce, la pièce Canard, a sauté sur une mine donc on a dû faire la sortie à pied. J’avais ma blessure et je boitais. Pas de boussole. J’ai tout fait au pifomètre. Les autres membres de ma pièce, Canard, Dessine et Vallun, que je n’ai pas revus après l’explosion, ont été faits prisonniers et sont morts à bord du Nino Bixio qui fut torpillé2.

 

C. B. : Qu’avez-vous fait dans les semaines qui ont suivi la sortie ?

P. L. : J’ai été évacué vers l’hôpital et soigné de mes blessures, de ma dysenterie et du palu. On s’est retrouvés à Héliopolis. Le général de Gaulle nous a passés en revue, puis on nous a expédiés au Liban pour nous reposer un peu. On allait dans la montagne libanaise, sur Beyrouth, avec la bonne odeur du jasmin dans les rues. Les Libanais étaient sympas au possible. Ensuite, on a fait l’offensive jusqu’à la Tunisie, puis l’Italie, la Provence, etc., jusqu’à la fin de la guerre.

 

C. B. : Vous êtes retourné à Bir Hakeim depuis 1942 ?

P. L. : J’y suis retourné en 1955, pour un pèlerinage organisé par l’Association des Français libres. Nous étions assez nombreux. On aurait dû y retourner en 1995, mais Kadhafi s’y est opposé. J’y suis donc retourné une dernière fois en 2012. J’ai été enchanté par ce voyage. Ce fut un grand honneur pour moi de pouvoir représenter mes camarades. D’autant plus que si d’autres pèlerinages devaient avoir lieu, je doute fort qu’il y ait encore des survivants de ces combats. Ainsi, j’aurai sans doute eu ce privilège d’avoir été le dernier combattant de Bir Hakeim à fouler ces lieux. C’est incroyable ! Aussi, lors de la visite du nouveau cimetière, cest avec émotion que je lai parcouru, reconnaissant certains noms et priant silencieusement pour tous. 

1. Commandant en second du 1er BFM.

2. Navire italien transportant des prisonniers alliés parmi lesquels les Français libres capturés lors de la sortie de Bir Hakeim. Non marqué réglementairement, il fut torpillé par un sous-marin britannique.

Paul Letterrier a été promu au grade de commandeur de la Légion d'honneur lors d'une cérémonie à Cherbourg
Paul Letterrier a été promu au grade de commandeur de la Légion d'honneur lors d'une cérémonie à Cherbourg
Paul Leterrier est le deuxième en partant de la gauche
Paul Leterrier est le deuxième en partant de la gauche

Les fusiliers marins, de Bir Hakeim à Lorient

À travers les archives de Cols bleus

1er RÉGIMENT de fusiliers marins (1er RFM)

En juin 1940, lorsque les Allemands envahissent la France, ils rencontrent devant Lorient une résistance inattendue. En effet, les élèves de l’école des fusiliers marins interdisent pendant deux jours l’entrée du port aux blindés ennemis. Une quinzaine de survivants, dont le second maître Le Goffic, réussissent à embarquer pour Londres. Sur place, ils sont rejoints par d’autres marins et de jeunes recrues arrivées de France. En juillet 1940, l’amiral Muselier crée le 1er bataillon de fusiliers marins et en confie le commandement au lieutenant de vaisseau Détroyat. C’est ce bataillon qui arme la DCA à Bir Hakeim. En juin 1943, il est transformé en régiment de reconnaissance et équipé de blindés légers devenant le 1er régiment de fusiliers marins. Il participe à la campagne d’Italie, puis au débarquement de Provence en août 1944. En Italie, il s’illustre à Montefiascone et Radicofani. En France, il libère La Valette (83), La Garde (83), Toulon (83), Autun (71) et se bat dans les Vosges. En janvier 1945, il se bat en Alsace. En avril, il est chargé de nettoyer le massif de l’Authion, dans les Préalpes de Nice, où se sont retranchés les Allemands. En juin, le 1er RFM cède ses blindés au 3e régiment de hussards. Il est temps pour les marins de retrouver des missions plus habituelles. De 1940 à 1945, le 1er RFM aura perdu presque 200 hommes parmi lesquels deux de ses pachas.

 

RÉGIMENT blindÉ de fusiliers marins (RBFM)

En 1942, les Anglais prennent l’île de Madagascar aux troupes de Vichy et font prisonniers plusieurs centaines de marins. Ces derniers, désireux de se battre contre les Allemands, vont constituer le noyau du régiment. Chargés d’armer les batteries côtières de Bizerte en Tunisie, ils seront rejoints par de nombreuses recrues, évadées de France ou originaires d’Afrique du Nord. En 1943, le RBFM est équipé de véhicules blindés antichars américains, des M10 Wolverine, puis intégré à la 2e division blindée du général Leclerc. Le régiment sera de toutes les actions de la 2e DB, de la Normandie à Berchtesgaden en passant par Paris, Dompaire et Strasbourg. L’amiral Philippe de Gaulle et le second maître Moncorgé, alias Jean Gabin, ont servi dans ses rangs. L’un des chars du régiment est exposé sur la place d’armes de l’école des fusiliers marins. Le régiment est dissous à la fin du conflit, mais est rapidement reconstitué pour servir en Indochine.

 

Les commandos Marine

C’est en mai 1942, sous l’impulsion de Philippe Kieffer, que naît la 1re compagnie de fusiliers marins commandos, qui prendra ensuite le nom de 1er bataillon de fusiliers marins commandos (1er BFMC). Passés par les camps d’entraînement commandos britanniques, les hommes de Kieffer débarquent sur Sword Beach le 6 juin 1944. Ils s’illustrent pendant la bataille de Normandie, puis en Hollande. En 1945, outre les hommes de Kieffer, les commandos comprennent la compagnie Merlet, qui deviendra bientôt le commando Jaubert, et le special air service (SAS) B du capitaine de frégate Ponchardier qui prendra vite le nom de son chef.

Le 1er RFM libère la ville d'Autun
Le 1er RFM libère la ville d'Autun

Indochine

À la fin du second conflit mondial, les fusiliers marins sont soit affectés sur les bâtiments de combat, soit au RBFM, au 1er RFM ou chez les commandos. Le site de Lorient étant impraticable à cause des destructions dues à la guerre, l’école des fusiliers marins s’installe au centre de formation maritime Siroco situé à 30 km dAlger. On y organise les premiers cours du certificat de commando. La force est alors réorganisée. Le 1er BFMC et le 1er RFM sont dissous. L’escadron d’honneur du 1er RFM est lui envoyé en Indochine. Le commando Ponchardier, déjà prépositionné en Asie en vue d’opérations contre le Japon sera la première unité régulière française à mettre les pieds en Indochine, le 2 octobre 1945. Le commando sera aussi rejoint par les fusiliers du RBFM, qui troqueront leurs blindés contre des embarcations amphibies armées pour former la flottille amphibie. Le pays est reconquis rapidement, au prix de durs combats où périront, en janvier 1946, les CF Jaubert et EV1 de Penfentenyo. Mais le Vietminh se réorganise et la guerre dure une dizaine d’années. Au cours de cette période, la flottille amphibie et les commandos formeront les divisions navales d’assaut (Dinassaut). Elles assurent la liberté de navigation sur les fleuves ou mènent des raids commandos depuis ces derniers. Les opérations se succèdent : Mouette, Domino, Aunis, Gerfaut, Aréthuse... Lensemble du pays est concerné, du delta du fleuve Rouge au Tonkin ou du Mékong en Cochinchine, Biên Hòa, Nha Trang, Hanoï, Saigon... Fort de cette expérience, plusieurs commandos Marines sont créés : Jaubert, Trépel, de Penfentenyo, de Monfort, Hubert et François. Ce dernier, décimé lors de la bataille de Ninh Binh en 1951, voit ses survivants encadrer les commandos autochtones Ouragan et Tempête. Si les commandos sont alors rattachés à des bâtiments comme le cuirassé Richelieu ou le croiseur Duguay-Trouin, voire à une Dinassaut, leur doctrine d’emploi les éloigne souvent de leur unité support. À la suite des accords de Genève signés en juillet 1954, la France quitte l’Indochine ; le commando Jaubert est la dernière unité française à en partir.

 

Nos marins en Indochine
Nos marins en Indochine

L’Afrique du Nord

Dès 1955, la situation en Afrique du Nord s’aggrave. Encore une fois, les fusiliers marins sont mis à contribution. Les commandos Marine, maintenant organisés en groupement (Grouco), mènent en Algérie des raids souvent héliportés contre des fabriques ou dépôt d’armes, ou encore participent à des actions combinées contre les katibas (compagnie) ou des faileks (bataillons) de l’armée de libération nationale (ALN). Les fusiliers marins doivent aussi intervenir. Dès 1956, une demi-brigade de fusiliers marins (DBFM) est créée. Composée de trois bataillons, elle est affectée à l’ouest de l’Algérie dans la région de Nemours (aujourd’hui Ghazaouet). Elle participe à la pacification de la région, assure la garde du barrage de barbelés électrifiés installé face à la frontière marocaine et participe également à des opérations de plus grande envergure de lutte contre l’ALN comme « Jumelle » en 1959. Dautres fusiliers marins assurent la protection des ports militaires et de commerce, des bases daéronautique navale, ou encore de stations de production électrique ou de pompage de pétrole dont les techniciens ont été remplacés par des marins. À l’indépendance de l’Algérie, la DBFM est dissoute, l’école des fusiliers marins et le Grouco reviennent à Lorient.

Depuis, les commandos servent régulièrement en opérations extérieures comme au Tchad, au Liban, aux Comores, au Koweït, en ex-Yougoslavie, en Afghanistan ou encore au Mali. Outre les commandos, les besoins opérationnels amènent également, comme par le passé, le retour des fusiliers marins en opérations extérieures (océan Indien, Mali, Guyane).

Commando Marine en opération dans le Djebel Bénidir
Commando Marine en opération dans le Djebel Bénidir

La Force maritime des fusiliers marins et commandos (FORFUSCO)

80 ans d’adaptation

 

La bataille de Bir Hakeim a marqué la renaissance des fusiliers marins. Ses traditions et son histoire constituant aussi sa force, la FORFUSCO baptisera les toutes nouvelles vedettes de fusiliers marins (VFM) selon des hauts faits d’armes de ses anciens : la première prendra le nom Bir Hakeim.

Forts de cette épreuve, les fusiliers marins de 1942 se sont reconstruits et ont évolué jusqu’à devenir la FORFUSCO que nous connaissons aujourd’hui. Celle-ci est articulée autour de deux grandes composantes : les fusiliers marins et les commandos Marine.

 

Fusiliers marins

Les fusiliers marins sont spécialisés dans la défense et l’interdiction maritime. 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, 1700 hommes et femmes participent à la défense maritime du territoire en protégeant les sites sensibles de la défense, et notamment les installations liées à la dissuasion nucléaire. On retrouve ainsi les trois bataillons (BFM) ou les six compagnies (CFM) de fusiliers marins aussi bien à l’île Longue qu’à l’intérieur des terres, dans les centres de transmission de la Marine. Depuis le 1er septembre 2020, chacune de ces unités porte le nom d’un grand ancien, Compagnon de la Libération, ayant servi au sein du 1er bataillon de fusiliers marins pendant la Seconde Guerre mondiale.

Les fusiliers marins ne sont cependant pas limités aux missions de protection d’installations, mais procèdent également, en appui des opérations aéronavales, à des missions de contrôle, de lutte contre les trafics illicites ou à la protection d’unités précieuses. Ils sont par exemple, régulièrement déployés en mission de lutte contre la pêche illicite au large de la Guyane, aux côtés des commandos Marine.

 

Commandos

Les commandos Marine sont, quant à eux, les forces spéciales de la Marine nationale. Environ 700 marins arment sept unités opérationnelles, dont cinq d’assaut (Jaubert, Trépel, de Montfort, de Penfentenyo et Hubert) et deux d’appui aux opérations spéciales (Kieffer et Ponchardier).

Les commandos d’assaut disposent de capacités communes, allant du combat commando au renseignement, en passant par la maîtrise de tous les modes d’infiltration terrestres, nautiques et aéronautiques.

Chaque commando dispose de capacités spécifiques, par exemple, la spécialisation dans les actions subaquatiques pour le commando Hubert. Chacun de ces commandos dispose également de deux groupes spécialisés : CTLO (contre-terrorisme et libération dotages) et ESNO (équipes spéciales de neutralisation et dobservation).

Les commandos d’appui disposent également de capacités spécifiques : Kieffer assure la capacité de commandement et les cellules d’appui spécialisé (cynotechnie, drones, NRBC...). Ponchardier met en œuvre des moyens d’insertions maritime, aérien et terrestre et des équipements spécifiques (armements, munitions, optroniques...).

Les commandos Marine interviennent au profit du Commandement des opérations spéciales (COS), de la Marine nationale ou de tout contrôleur opérationnel désigné par l’état-major des Armées.

Ils sont rompus aux actions spéciales navales, que ce soit au large ou vers la terre, tout en étant en mesure de réaliser des actions spéciales à terre à l’instar des commandos des autres armées.

S’inspirant de leurs anciens du 1er BFM, passés d’unités d’infanterie à unités antiaériennes et unités de reconnaissance blindée, la FORFUSCO continue de s’adapter aux enjeux et missions à venir. Pour conserver une supériorité opérationnelle, un Lab a été mis en place. Incubateur d’idées situé au sein même de la base des fusiliers marins et des commandos, il permet de valoriser l’innovation, qu’elle vienne des unités ou qu’elle soit impulsée par les états-majors.

Vedette de fusiliers marins
Vedette de fusiliers marins

Rencontre

CV Sébastien Parisse commandant l’école des fusiliers marins (Ecofus)

 

Cols bleus : Que représente la bataille de Bir Hakeim pour les fusiliers marins ?

CV Sébastien Parisse : « Quand, à Bir Hakeim, un rayon de sa gloire renaissante est venu caresser le front sanglant de ses soldats, le monde a reconnu la France », écrivit le général de Gaulle. Bir Hakeim est le premier grand combat auquel prend part cet embryon d’armée de Français libres qui ont répondu à son appel, et parmi lesquels nous trouvons les fusiliers marins commandés par le CC Amyot d’Inville.

Ils se sont vu confier une mission qui rappelle celle de leurs ainés à la bataille de Dixmude en 1914 : arrêter lennemi et tenir autant que possible... Pari tenu et réussi.

En défendant ce site stratégique avec courage et ténacité, ils ont acquis une nouvelle légitimité aux yeux des Alliés, tout en incarnant l’espoir d’une France victorieuse.

 

C. B. : Quelles leçons peut-on en tirer pour les fusiliers marins de notre époque ?

CV S. P. : L’exploit réalisé à Bir Hakeim au milieu du désert rappelle aux fusiliers marins d’aujourd’hui l’importance de cultiver, outre les connaissances techniques nécessaires à l’utilisation des armements modernes, les qualités de combativité, de réactivité, de résilience et de rusticité, indispensables pour affronter des conditions d’engagement variées, souvent extrêmement rudes. Le contexte international actuel nous rappelle qu’il faut constamment s’adapter et être prêt à intervenir sur tous les terrains.

 

C. B. : Au sein des formations dispensées à l’ECOFUS, comment sont transmises les valeurs héritées des anciens ?

CV S. P. :Savoir d’où l’on vient pour savoir où on va... L’Ecofus est l’une des plus anciennes unités de la Marine nationale, marquée par une histoire et un héritage forts. Tout au long des formations, les instructeurs transmettent des savoir-faire, mais surtout des savoir-être aux élèves fusiliers marins. Au travers d’exercices théoriques et pratiques, chaque génération d’instructeurs partage son expérience auprès de la génération suivante pour assurer la transmission des valeurs héritées des anciens.

Cet héritage intergénérationnel se transmet aussi à l’occasion des cérémonies de tradition, marquant la fin des cours qui sont baptisés des noms d’illustres anciens. Le drapeau du 1er régiment de fusiliers marins (RFM), un des plus décorés de l’armée française, gardé à l’Ecofus et présenté lors des cérémonies, est l’un des symboles rappelant le courage et le sacrifice des anciens. La remise de fourragères aux couleurs de la Légion d’honneur et de la Croix de la Libération marque symboliquement cette transmission de valeurs aux jeunes.

Enfin, le musée de Tradition des fusiliers marins, en retraçant l’histoire de la spécialité, favorise le devoir de mémoire. Toutes les jeunes recrues le visitent, afin de les sensibiliser à l’héritage qui leur est transmis.

 

C. B. : Quels sont les défis et enjeux pour l’ECOFUS en 2022 ?

CV S. P. : La FORFUSCO s’est engagée dans un vaste plan de transformation de son organisation, de ses missions et de ses équipements. Dans ce contexte, l’Ecofus doit se tenir à la page pour lui fournir des fusiliers marins plug and fight selon ce nouveau référentiel, tout en les aidant à appréhender et à saisir la complexité de leur environnement opérationnel : lactualité ukrainienne a démontré que la paix nest jamais acquise définitivement ; nos fusiliers doivent en être conscients et se préparer, comme leurs camarades des autres spécialités de la Marine, au retour du combat.

Enfin, même si la spécialité bénéficie d’une bonne attractivité, le recrutement et la fidélisation demeurent des défis permanents.