Opérations extérieures : Il y a vingt ans, l’opération Héraclès (2001-2002)

Publié le 01/01/2022

Auteur : Capitaine de Vaisseau Thibault Lavernhe

Le 1er décembre 2001, le jeune porte-avions Charles de Gaulle, récemment admis au service actif, appareille avec la Task Force (TF) 473 en direction de l’océan Indien pour sa première mission, qui durera sept mois. Par-delà cette contribution phare, l’opération Héraclès a été un engagement opérationnel majeur pour la Marine, qui mobilisa alors jusqu’à 30 % de ses moyens aux côtés de son allié américain. Deux décennies plus tard, retour sur cet engagement opérationnel majeur.

@ Marine nationale

Héraclès est fille du drame du nine-eleven. À la suite de la chute des tours jumelles le 11 septembre 2001, la communauté internationale amorce un mouvement de solidarité avec Washington. Alors que les États-Unis lancent l’expédition punitive Enduring Freedom en Afghanistan, l’Otan active son article 5 de défense collective et l’ONU lance une force d’assistance internationale. Dans ce contexte, le fidèle allié français déclenche l’opération Héraclès, avec un triple objectif : participer aux frappes aériennes en soutien des troupes américaines au sol, couper la retraite maritime de l’organisation terroriste Al Qaïda, et apporter un soutien logistique aux unités de combat. Dès octobre 2001, les moyens français pré-positionnés en océan Indien (frégate type La Fayette Courbet, bâtiment de commandement et de ravitaillement Var et bâtiment de soutien et d’assistance outre-mer Bougainville) sont engagés, suivis de renforts (patrouille maritime et guerre des mines) envoyés de métropole. Le 21 novembre, le gouvernement français annonce l’appareillage du groupe aéronaval (GAN), apportant ainsi un soutien majeur à son allié d’outre-Atlantique.

 

Une OPÉRATION ambitieuse...

L’Afghanistan est un pays lointain et enclavé : comment le GAN pourrait-il peser sur le déroulement des combats ? Et pourtant, dans un contexte où les accords diplomatiques pour baser des avions à terre sont longs à obtenir1, la puissance aéronavale est la solution qui s’impose aux Occidentaux pour porter le fer à terre. Mais le défi est important, puisqu’il s’agit alors pour le groupe aérien embarqué (GAé), composé de 16 SEM2 et de 5 RFM3) d’opérer à 600 nautiques (plus de 1 100 km) du porte-avions, au-dessus d’un terrain hostile, soit trois fois plus que son élongation usuelle : les vols s’annoncent longs, risqués et éprouvants. Le GAN doit en outre s’intégrer dans un environnement opérationnel interalliés et interarmées complexe, aux côtés de plusieurs porte-avions occidentaux. Par ailleurs, sans perspective immédiate de sortie de crise, c’est toute la chaîne logistique expéditionnaire de la Marine qui est mise sous tension pour faire durer sur zone pendant sept mois jusqu’à 34 bâtiments et 7 flottilles d’aéronautique navale.

 

... dans un contexte de renouvellement capacitaire

Au tournant du siècle, la Marine récolte les fruits du renouvellement de ses capacités, faisant d’Héraclès une mission de « premières ». Premier déploiement d’un porte-avions à propulsion nucléaire, qui confère au fer de lance du GAN une endurance sans précédent4. Premiers intercepteurs Rafale Marine, qui hissent le GAé au niveau des avions de combat les plus récents. Premiers E-2C Hawkeye, qui dotent la Marine d’une capacité de guet aérien et de commandement aéroporté, dilatant ainsi la zone de couverture des senseurs du GAN. Premier réseau de liaison de données tactique L16 en opérations. Premières missions des SEM au standard 4, incluant des retours à bord de nuit. C’est donc un outil à la pointe de son temps que la Marine engage en opération, tout en devant l’apprivoiser pour en tirer tout le potentiel opérationnel.

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Une RÉUSSITE tactique

Héraclès est une réussite, et la stratégie nationale du continuum « paix-crise-guerre » basée sur des moyens prépositionnés et sur une capacité expéditionnaire complémentaire prouve sa pertinence. En 106 jours d’opérations, le porte-avions réalise 800 sorties opérationnelles dont 500 raids offensifs, soit 10 % des missions de la coalition. Les SEM opèrent aux limites sans aucun incident, et les RFM explorent leur domaine d’emploi en opérations. Les frégates réalisent 190 jours de mission, les sous-marins nucléaires d’attaque 93 jours et les Atlantique 2 alignent 1 300 heures de vol en soutien de la coalition, contribuant à dénier l’usage de l’espace maritime à Al Qaïda. Le GAN s’illustre en outre par sa réactivité : quelques dizaines d’heures après son arrivée sur le théâtre, les premiers vols opérationnels ont lieu. Trois facteurs contribuent à ce succès : les moyens renouvelés du GAN, la proximité culturelle franco-américaine5, et la rémanence de l’opération Trident réalisée deux ans auparavant au Kosovo6. Surtout, Héraclès a une forte résonance politique : en mars 2002, le président G. W. Bush remercie ainsi son « bon allié, la France, qui a déployé le quart de sa marine dans l’opération Enduring Freedom ».

 

Les Enseignements d’HÉRACLÈS pour la Marine

Quel est aujourd’hui l’écho de l’action de la TF 473 qui fut déployée il y a vingt ans sous le commandement du contre-amiral Cluzel ? D’abord, Héraclès illustre la complémentarité entre la puissance aérienne basée à terre et la puissance aéronavale venant de la mer : une complémentarité de tempo doublée d’une complémentarité de modes d’actions, qui entre en résonance à l’heure des opérations multidomaines7. Ensuite, Héraclès montre l’intérêt d’une marine en pointe sur le plan technologique, qui tire parti de ses nouvelles capacités pour progresser en opérations, accélérant ainsi leur maturation : dans un contexte d’innovation tous azimuts et de transformation de la Marine, la « preuve par les opérations » reste un puissant moteur. Enfin, Héraclès nous parle d’aguerrissement et de risque. Aguerrissement de la Marine, qui depuis le Kosovo en 1999 n’a cessé d’enchaîner les missions de combat, en Afghanistan, en Libye et en Irak. Prise de risque calculée des pilotes qui surent se lancer dans le « grand bain » à 600 Nq du Charles de Gaulle pour remplir leur mission : en 2021, cette culture positive du risque doit encore nous inspirer.