DAS BOOT : Les derniers secrets d’un carton du cinéma

Publié le 03/03/2022

Auteur : LV (R) GRÉGOIRE CHAUMEIL

En ligne depuis quelques semaines, la plateforme ImagesDéfense a ouvert à la consultation une partie des archives audiovisuelles du ministère des Armées. Parmi les négatifs endormis de la marine de guerre allemande, un documentaliste de l’Établissement de communication et de production audiovisuelle de la Défense (ECPAD) a justement fait une découverte surprenante : des clichés uniques, datés de 1941 et à l’origine d’un des plus grands succès de l’histoire du cinéma de guerre, Das Boot. Automne 1941. Quelque part en Atlantique. L’U-96 file bon train en surface, le nez dans la plume pour sa septième patrouille. Poussé par ses diesels, le sous-marin laboure les lames qui lui dessinent une moustache d’écume. Perché sur son poste d’observation, le Kaleu – contraction familière du grade de Kapitänleutnant – affiche une mine sombre sur un port altier. Du haut de sa trentaine, il fait déjà partie de la vieille garde de la sous-marinade allemande. En retrait, un correspondant de guerre du nom de Lothar-Günther Buchheim, traits juvéniles dans une vareuse de lieutenant, embarque pour la première fois sur un sous-marin. Le jeune Buchheim ignore tout des sous-mariniers et de leurs usages. Une fois en immersion, le reporter découvre un univers magnétique et cruel. La guerre s’achève. Libéré de son uniforme, Buchheim ouvre une galerie d’art en Allemagne. Mais en 1973, l’ex-lieutenant exhume ses souvenirs de guerre dans un roman inspiré de faits réels, Das Boot. Quelques années plus tard, le cinéma allemand adapte à l’écran les aventures de l’équipage du U-96. Le livre devient un film au succès mondial acclamé par la critique pour son réalisme. Les souvenirs du reporter Buchheim ont fait du U-96 le bateau noir le plus connu de l’histoire du cinéma de guerre.

@ Marine nationale

Un miroir en miettes

Le contrechamp de cette histoire sommeille dans les archives de la Wehrmacht. Dans les casemates du fort d’Ivry, l’ECPAD conserve depuis 1947 une collection unique de films et de clichés réalisés par les reporters militaires allemands. Une prise de guerre de l’armée américaine, cédée à la France au lendemain de la victoire. « Je travaille à sortir de l’oubli des dizaines de milliers de photos du fonds allemand, explique Nicolas Ferard, documentaliste à l’ECPAD. Certaines photos que j’ai découvertes ont été réalisées par Buchheim lui-même quelques jours avant son embarquement sur le célèbre U-96. D’autres le montrent au contraire au retour de la mission qui lui a inspiré le roman. » Mais ces fragments d’archives sont un miroir en miettes : « La plupart des images du fonds allemand ne possèdent ni noms ni légendes, souligne Nicolas Ferard. Aussi, je documente les images grâce aux journaux de marche des unités, conservés pour certains aux archives américaines de la NARA (The National Archives and Records Administration, à Washington). Mais c’est parfois insuffisant. Mon travail d’investigation s’apparente alors à une véritable enquête policière qui peut prendre des années. Chaque image a une histoire. Pour la reconstituer, il faut chercher des indices dans le contexte de l’époque ».

Officiers_Sous_Mariniers

Les Loups Gris chassent en meute

Lorsque la guerre éclate, Buchheim est fraîchement diplômé de l’Académie des Beaux-Arts de Dresde. Le jeune lieutenant découvre le conflit sous le statut d’officier spécialiste au sein des compagnies de propagande, les Propaganda Kompanien (PK). « La plupart des reportages des PK traitent seulement du fait militaire. La politique et les activités du parti nazi ne sont pas de leur ressort, renseigne Nicolas Ferard, également auteur d’un ouvrage sur les PK1. Les dignitaires du régime ont tiré profit du talent de ces jeunes cinéastes et photographes enrôlés : la propagande épargne le sang. » Et le Reich a justement besoin de héros. Parce qu’ils sortent du bouillonnement des océans, les jeunes commandants de U-Boot séduisent autant qu’ils intriguent. Les Loups Gris ont gagné leur surnom et leur réputation en chassant en meute les convois de ravitaillement alliés. Les capitaines de tous les bâtiments les redoutent ; les récits de leurs combats navals contribuent à nourrir leur légende. La figure romanesque du guerrier des profondeurs devient une source d’inspiration pour la fabrique de la geste officielle. « Un reportage en sous-marin est le graal de tout reporter. Fasciné par cet univers sans doute, et aussi pour en tirer une certaine notoriété, Buchheim s’est porté volontaire pour embarquer sur le U-96 », complète Luc Braeuer, auteur prolifique d’une dizaine d’ouvrages sur les U-Boots2.

U_Boot_2

La guerre sous un autre angle

Selon Luc Braeuer, « les reportages de Buchheim détenus par l’ECPAD représentent un double intérêt : testimonial dabord et puis un second lié celui-làà la popularité de Buchheim ». Une popularité capricieuse : avec un don pour le dessin et la peinture, Buchheim devient à la fois artiste et collectionneur d’art dans l’Allemagne d’après-guerre. Mais dans les années 1980, le succès de Das Boot a sorti de l’anonymat l’ex-militaire qui vouait désormais sa vie à l’art. Près de Munich, un musée veille jalousement sur le patrimoine de l’artiste défunt. « Le musée Buchheim possède lui aussi certaines photographies de guerre, poursuit Nicolas Ferard. Car le reporter avait un autre secret : il emportait en mission deux appareils de marque Leica fournis par la marine et un troisième appareil, clandestin celui-là. Les deux premiers boîtiers servent la propagande. Le troisième appareil porte souvent un autre regard sur la guerre. C’est en cela que l’œuvre photographique de Buchheim offre une approche originale pour les historiens. »

Das Boot Affiche

La guerre sous un autre angle, c’est sans doute l’une des raisons du succès du film Das Boot. Au plus fort du conflit, il y a peu de volontaires pour endurer les privations de la vie de sous-mariniers. Loin de l’esthétique nazie, Das Boot montre cette autre réalité. Dans la production à succès, les fauves sont devenus une proie, celle des torpilleurs et de leurs redoutables grenades sous-marines. Devant l’objectif de la caméra, des marins loqueteux sont au supplice dans les limbes de leur tanière crasseuse. Et de fait, sur les 40 000 sous-mariniers allemands, 29 000 ne reviendront jamais. Das blaue Meer3, comme le dit la chanson, est le plus souvent la sépulture de ces marins qui partent en campagne en riant tandis que leurs chants sont les plus tristes du répertoire militaire.

Sous_mariniers