L’hydrogène vert : une révolution en mer ?

Publié le 01/07/2024

Auteur : LV (R) Grégoire CHAUMEIL

C’est une première mondiale : après avoir inauguré un premier site à terre, une entreprise nantaise a développé un démonstrateur capable de produire au large de l’hydrogène vert à partir d’eau de mer. Ce nouveau carburant propre se présente comme une alternative pour la décarbonation massive des secteurs de l’industrie et du transport.

Démonstrateur capable de produire de l'hydrogène vert en milieu maritime @ ENERGY OBSERVER PRODUCTION - KADEG BOUCHER

Jules Verne n’avait-il pas prédit que l’hydrogène deviendrait un jour la principale source d’énergie utilisée par l’Homme ? « Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, L’eau est le charbon de l’avenir », pouvait-on lire dès 1874 dans L’île mystérieuse. 150 ans après, l’hydrogène produite déjà à terre pourrait bientôt être fabriquée en pleine mer. Actuellement, l’hydrogène est surtout une matière première pour les engrais et l’industrie chimique. Le besoin d’hydrogène en France est d’environ de 900 000 tonnes par an. Techniquement, deux types d’hydrogène existent : le gris et le vert. Le premier est produit à partir d’énergies fossiles (gaz naturel, méthane, propane…) transformés via une réaction chimique rejetant du CO2. Il représente aujourd’hui 90 % de la production mondiale. L’hydrogène vert, quant à lui, est produit par électrolyse. Ce procédé consiste à scinder les molécules d’eau (H2O) grâce à une réaction électrique, afin d’obtenir de l’hydrogène (H) et de l’oxygène (O). L’hydrogène ainsi obtenu peut alors être stocké (contrairement à l’électricité) et transporté par train, en camion ou bien en pipeline. A quantité égale, ce « carburant du futur » peut produire presque quatre fois plus d’énergie que le gaz naturel ou le pétrole. Malheureusement, jusqu’à présent, le processus aboutissant à la production d’hydrogène (le vaporeformage du méthane) est extrêmement polluant. Pour être considérée comme écologique, l’électricité utilisée pour obtenir cet hydrogène vert doit être d’origine renouvelable ou à faible teneur en carbone. Un inconvénient majeur qui rend en outre sa production à grande échelle onéreuse donc peu envisageable.

Un prototype inédit

Une jeune société nantaise, Lhyfe, et l’école Centrale de Nantes ont décidé de s’attaquer à ce défi. La start-up et l’école d’ingénieur ont collaboré sur ce projet et ont réussi à mettre au point un prototype inédit. Pour la première fois, on devrait être désormais capable de créer de l’hydrogène vert à partir d’un processus d’électrolyse de l’eau de mer et d’électricité renouvelable produite par des éoliennes. L’éolien offshore offre en effet un rendement inégalé en captant l’énergie puissante et continue des vents marins pour produire de l’électricité tout en utilisant l’eau de mer pour effectuer l’électrolyse. Surnommée « Sealhyfe », cette plateforme flottante est équipée d’un électrolyseur et reliée à une éolienne qui produit de l’hydrogène à partir de molécules d’eau de mer. Sealhyfe a donné ses premiers résultats le 26 janvier dernier, après plus d’un an d’expérimentation au large de Saint-Nazaire. « Comme cette expérience n’avait jamais été réalisée auparavant, la première leçon a été l’intégration de toutes les contraintes environnementales particulièrement sévères dans un milieu hostile et isolé. L’accumulation de nombreuses données nous a permis d’évaluer l’impact de l’environnement marin offshore sur le procédé d’électrolyse », indique Stéphane Le Berre, chef de projet offshore de Lhyfe.

L’hydrogène marin en quête de rentabilité économique

En produisant dans un premier temps 400 kg d’hydrogène marin par jour, l’idée de Sealhyfe est de montrer que l’industrialisation de l’hydrogène vert en mer est possible à grande échelle. «Nous croyons dans l’avenir de l’offshore et à son développement pour la production massive d’hydrogène, assure Stéphane Le Berre. Prochaine étape, Lhyfe va créer, avec huit autres partenaires, un site de production d’hydrogène en mer du Nord à 1 km au large du port d’Ostende (Belgique). Le gaz sera ensuite expédié à terre via un pipeline et distribué à des clients du secteur de l’industrie et des transports. Le projet, subventionné par l’Union européenne, vise une mise en service de l’unité de production et des infrastructures d’ici 2026 avec une capacité d’envergure de quatre tonnes par jour d’hydrogène vert en mer. La startup nantaise n’est pas la seule sur ce marché émergent. La filiale portuaire et logistique de Louis Dreyfus Armateurs a par exemple présenté en 2022 un concept de navire de transport d’hydrogène vert. Ce bateau de 140 mètres baptisé FRESH (qui signifie, en français, Solution d’énergie renouvelable flottante pour l’hydrogène) permettrait à terme d’exporter à l’international des électrons verts sous la forme d’hydrogène ou d’un vecteur d’hydrogène, comme l’ammoniac, qui peut être transporté depuis les zones de production d’énergie verte jusqu’aux aux quatre coins du monde.

Ce « nouvel or vert », une solution à la crise climatique ?

En permettant de réduire considérablement les émissions dans les secteurs les plus difficiles à décarboner, comme l’industrie (sidérurgie, chimie) et le transport lourd dont fait partie le transport maritime, l’hydrogène vert est présentée comme l’une des solutions à la crise climatique. Un scénario suffisamment séduisant et crédible pour que la France mise sur  une importante stratégie nationale hydrogène, dotée d’une généreuse enveloppe d’un montant de près de neuf milliards d’euros jusqu’à l’horizon 2030. Les raisons sont évidemment environnementales mais touchent aussi à la souveraineté énergétique. La guerre en Ukraine a rappelé l’importance de réduire la dépendance française vis-à-vis des importations d’hydrocarbures. De son côté, l’Union européenne s’est donnée pour objectif de produire dix millions de tonnes d’hydrogène bas carbone par an dès 2030 et d’en importer autant. Un résultat non atteint pour le moment. À l’échelle mondiale, une quarantaine de pays investissent massivement dans l’hydrogène. Après un démarrage lent, la Chine a pris la tête du déploiement des électrolyseurs. Certains signes ne trompent pas: l’Arabie Saoudite premier exportateur de pétrole brut, construit actuellement la plus grande usine d’hydrogène vert au monde. Mais cet engouement pour le «nouvel or vert» peine à se concrétiser. Alors que seulement 1% d’hydrogène produit dans le monde est «vert», selon le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie*: «Les efforts pour stimuler la demande d’hydrogène à faibles émissions sont en retard sur ce qui est nécessaire pour répondre aux ambitions climatiques».

L’hydrogène liquide, un carburant maritime

La décarbonation du fret maritime, qui figure parmi les principales activités pollueuses de la planète, est une des priorités de l’Organisation maritime internationale (OMI). Si le transport maritime était un pays, il serait le sixième le plus pollueur du monde, juste après le Japon et devant l’Allemagne. Pour certains scientifiques, l’hydrogène est l’alternative la plus crédible, pourtant des questions subsistent sur son transport et son stockage. Pour accélérer la transition, le projet le plus ambitieux est sans doute celui de l’Energy Observer 2, un prototype de cargo « zéro émission » propulsé par de l’hydrogène liquide, qui serait capable de transporter jusqu’à 5 000 tonnes de marchandises soit un total de 240 conteneurs. Signe de l’intérêt des acteurs du secteur pour explorer l’efficacité de l’hydrogène liquide comme carburant maritime, le projet a reçu le soutien financier du groupe marseillais CMA CGM. Energy Observer est à l’origine le nom du premier navire hydrogène autonome en énergie, véritable laboratoire expérimental, devenu aujourd’hui un organisme qui réunit à la fois expéditions et innovations. En 2019, Energy Observer devient le premier navire à atteindre l’Arctique sans aucune émission, grâce aux énergies renouvelables et à l’hydrogène. Officiellement, « l’objectif à long termeest de construire un écosystème hydrogène intégré, réduisant le coût global de l’hydrogène liquide et favorisant sa diffusion dans le transport maritime ». Pendant ce temps, le compteur tourne. L’OMI anticipe un possible doublement des flux de transport sur les mers d’ici à 2050. Dans le cas contraire, l’Organisation des Nations unies prévoit que la pollution causée par le transport maritime fasse un bond de 3 % à 17 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

 

 

ules Verne n’avait-il pas prédit que l’hydrogène deviendrait un jour la principale source d’énergie utilisée par l’Homme? «Oui, mes amis, je crois que l’eau sera un jour employée comme combustible, L’eau est le charbon de l’avenir», pouvait-on lire dès 1874 dans L’île mystérieuse. 150 ans après, l’hydrogène produite déjà à terre pourrait bientôt être fabriquée en pleine mer. Actuellement, l’hydrogène est surtout une matière première pour les engrais et l’industrie chimique. Le besoin d’hydrogène en France est d’environ de 900000 tonnes par an. Techniquement, deux types d’hydrogène existent: le gris et le vert. Le premier est produit à partir d’énergies fossiles (gaz naturel, méthane, propane…) transformés via une réaction chimique rejetant du CO2. Il représente aujourd’hui 90% de la production mondiale. L’hydrogène vert, quant à lui, est produit par électrolyse. Ce procédé consiste à scinder les molécules d’eau (H2O) grâce à une réaction électrique, afin d’obtenir de l’hydrogène (H) et de l’oxygène (O). L’hydrogène ainsi obtenu peut alors être stocké (contrairement à l’électricité) et transporté par train, en camion ou bien en pipeline. A quantité égale, ce «carburant du futur» peut produire presque quatre fois plus d’énergie que le gaz naturel ou le pétrole. Malheureusement, jusqu’à présent, le processus aboutissant à la production d’hydrogène (le vaporeformage du méthane) est extrêmement polluant. Pour être considérée comme écologique, l’électricité utilisée pour obtenir cet hydrogène vert doit être d’origine renouvelable ou à faible teneur en carbone. Un inconvénient majeur qui rend en outre sa production à grande échelle onéreuse donc peu envisageable.

Un prototype inédit

Une jeune société nantaise, Lhyfe, et l’école Centrale de Nantes ont décidé de s’attaquer à ce défi. La start-up et l’école d’ingénieur ont collaboré sur ce projet et ont réussi à mettre au point un prototype inédit. Pour la première fois, on devrait être désormais capable de créer de l’hydrogène vert à partir d’un processus d’électrolyse de l’eau de mer et d’électricité renouvelable produite par des éoliennes. L’éolien offshore offre en effet un rendement inégalé en captant l’énergie puissante et continue des vents marins pour produire de l’électricité tout en utilisant l’eau de mer pour effectuer l’électrolyse. Surnommée «Sealhyfe», cette plateforme flottante est équipée d’un électrolyseur et reliée à une éolienne qui produit de l’hydrogène à partir de molécules d’eau de mer. Sealhyfe a donné ses premiers résultats le 26 janvier dernier, après plus d’un an d’expérimentation au large de Saint-Nazaire. «Comme cette expérience n’avait jamais été réalisée auparavant, la première leçon a été l’intégration de toutes les contraintes environnementales particulièrement sévères dans un milieu hostile et isolé. L’accumulation de nombreuses données nous a permis d’évaluer l’impact de l’environnement marin offshore sur le procédé d’électrolyse», indique Stéphane Le Berre, chef de projet offshore de Lhyfe.

L’hydrogène marin en quête de rentabilité économique

En produisant dans un premier temps 400 kg d’hydrogène marin par jour, l’idée de Sealhyfe est de montrer que l’industrialisation de l’hydrogène vert en mer est possible à grande échelle. «Nous croyons dans l’avenir de l’offshore et à son développement pour la production massive d’hydrogène, assure Stéphane Le Berre. Prochaine étape, Lhyfe va créer, avec huit autres partenaires, un site de production d’hydrogène en mer du Nord à 1 km au large du port d’Ostende (Belgique). Le gaz sera ensuite expédié à terre via un pipeline et distribué à des clients du secteur de l’industrie et des transports. Le projet, subventionné par l’Union européenne, vise une mise en service de l’unité de production et des infrastructures d’ici 2026 avec une capacité d’envergure de quatre tonnes par jour d’hydrogène vert en mer. La startup nantaise n’est pas la seule sur ce marché émergent. La filiale portuaire et logistique de Louis Dreyfus Armateurs a par exemple présenté en 2022 un concept de navire de transport d’hydrogène vert. Ce bateau de 140 mètres baptisé FRESH (qui signifie, en français, Solution d’énergie renouvelable flottante pour l’hydrogène) permettrait à terme d’exporter à l’international des électrons verts sous la forme d’hydrogène ou d’un vecteur d’hydrogène, comme l’ammoniac, qui peut être transporté depuis les zones de production d’énergie verte jusqu’aux aux quatre coins du monde.

Ce «nouvel or vert», une solution à la crise climatique?

En permettant de réduire considérablement les émissions dans les secteurs les plus difficiles à décarboner, comme l’industrie (sidérurgie, chimie) et le transport lourd dont fait partie le transport maritime, l’hydrogène vert est présentée comme l’une des solutions à la crise climatique. Un scénario suffisamment séduisant et crédible pour que la France mise sur  une importante stratégie nationale hydrogène, dotée d’une généreuse enveloppe d’un montant de près de neuf milliards d’euros jusqu’à l’horizon 2030. Les raisons sont évidemment environnementales mais touchent aussi à la souveraineté énergétique. La guerre en Ukraine a rappelé l’importance de réduire la dépendance française vis-à-vis des importations d’hydrocarbures. De son côté, l’Union européenne s’est donnée pour objectif de produire dix millions de tonnes d’hydrogène bas carbone par an dès 2030 et d’en importer autant. Un résultat non atteint pour le moment. À l’échelle mondiale, une quarantaine de pays investissent massivement dans l’hydrogène. Après un démarrage lent, la Chine a pris la tête du déploiement des électrolyseurs. Certains signes ne trompent pas: l’Arabie Saoudite premier exportateur de pétrole brut, construit actuellement la plus grande usine d’hydrogène vert au monde. Mais cet engouement pour le «nouvel or vert» peine à se concrétiser. Alors que seulement 1% d’hydrogène produit dans le monde est «vert», selon le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie*: «Les efforts pour stimuler la demande d’hydrogène à faibles émissions sont en retard sur ce qui est nécessaire pour répondre aux ambitions climatiques».

L’hydrogène liquide, un carburant maritime

La décarbonation du fret maritime, qui figure parmi les principales activités pollueuses de la planète, est une des priorités de l’Organisation maritime internationale (OMI). Si le transport maritime était un pays, il serait le sixième le plus pollueur du monde, juste après le Japon et devant l’Allemagne. Pour certains scientifiques, l’hydrogène est l’alternative la plus crédible, pourtant des questions subsistent sur son transport et son stockage. Pour accélérer la transition, le projet le plus ambitieux est sans doute celui de l’Energy Observer 2, un prototype de cargo «zéro émission» propulsé par de l’hydrogène liquide, qui serait capable de transporter jusqu’à 5000 tonnes de marchandises soit un total de 240 conteneurs. Signe de l’intérêt des acteurs du secteur pour explorer l’efficacité de l’hydrogène liquide comme carburant maritime, le projet a reçu le soutien financier du groupe marseillais CMA CGM. Energy Observer est à l’origine le nom du premier navire hydrogène autonome en énergie, véritable laboratoire expérimental, devenu aujourd’hui un organisme qui réunit à la fois expéditions et innovations. En 2019, Energy Observer devient le premier navire à atteindre l’Arctique sans aucune émission, grâce aux énergies renouvelables et à l’hydrogène. Officiellement, «l’objectif à long termeest de construire un écosystème hydrogène intégré, réduisant le coût global de l’hydrogène liquide et favorisant sa diffusion dans le transport maritime». Pendant ce temps, le compteur tourne. L’OMI anticipe un possible doublement des flux de transport sur les mers d’ici à 2050. Dans le cas contraire, l’Organisation des Nations unies prévoit que la pollution causée par le transport maritime fasse un bond de 3% à 17% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde.

*septembre 2023 Global Hydrogen Review www.iea.org

Lire aussi Le développement de l’éolien en mer ; quelles conséquences pour l’organisation de l’Etat en mer ?,
in La Revue maritime, p.29.

 

 

Éolienne en mer
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