Commission permanente des programmes et des essais : contre-amiral Benoît Rouvière

Publié le 04/10/2024

Auteur : Nathalie Six

Président de la commission permanente des programmes et des essais (CPPE) depuis août 2021, le contre-amiral Benoît Rouvière a la lourde tâche d’arbitrer l’admission au service actif (ASA) des différents bâtiments de la flotte. Un avis déterminant et un rôle de conseil auprès du chef d’état-major de la Marine, seul habilité à délivrer le fameux sésame. Très opérationnel, aussi à l’aise en passerelle et sous l’eau que dans les coursives de Balard, ce lecteur précoce de Cols bleus (qui a découvert la Marine grâce au magazine à dix ans) est très présent à bord des bâtiments en essais pour les contrôler.

Cols bleus :Quel est le rôle de la CPPE ? Quels sont les paramètres qui permettent de définir si un bâtiment est admissible au service actif ?

Contre-amiral Benoît Rouvière : La CPPE est chargée de deux domaines fondamentaux : le respect des exigences de sécurité maritime des navires de surface et sous-marins en construction et la vérification de leurs caractéristiques militaires (VCM) avant leur admission au service actif (ASA).

Pour le premier domaine, j’agis avec mes équipes pour garantir au CEMM que les risques en matière de sécurité sont maîtrisés et que les dispositions de prévention de la pollution et de santé et sécurité au travail des personnels militaires et civils présents à bord sont bien en place. Lorsque les conditions sont réunies, je délivre les autorisations de naviguer pour chaque unité en essais puis son permis définitif au moment de l’ASA.

Concernant les caractéristiques militaires, mon rôle est de vérifier que les nouveaux bâtiments sont parfaitement aptes à remplir leurs missions. Après leur réception par la DGA et leur transfert à la Marine, j’essaie de les mettre le plus possible en situation complexe pour m’assurer de leurs qualités et repérer rapidement les points à améliorer. C’est le but notamment des déploiements de longue durée (DLD) où l’on va chercher des environnements aux limites des spécifications : eaux très froides ou très chaudes, intégration à des dispositifs interalliés ou interarmées, recherche des limites des systèmes, tirs d’armes complexes, etc.

Si le bâtiment s’est bien comporté en situation d’exploitation représentative de sa future activité, l’ASA est alors possible, assortie éventuellement de réserves à traiter par les équipes de programme en liaison avec les industriels concernés. La décision finale est concertée avec l’ensemble des acteurs du programme, les équipages et les autorités organiques lors d’une commission dédiée que je préside : la commission supérieure d’armement (CSA).

C. B : La CPPE est une commission mixte entre la Marine et la direction générale pour l’armement (DGA). Comment se déroule un contrôle pour la partie sécurité maritime ?

CA B. R. : Régie par arrêté ministériel (juin 2020), la sécurité maritime s’impose à tous, en permanence, sans distinction. Le contrôle est continu. à la genèse des programmes, on s’accorde avec l’ensemble des acteurs sur toutes les normes et réglementations à respecter pour la construction, qui peuvent être issues de différents corpus documentaires, dans des proportions variables selon les projets : conventions internationales, directives ou règlements européens, code des transport, référentiel technique de la DGA, règlements issus des sociétés de classification. Mes équipes, présentes en permanence sur les chantiers, vérifient alors la conformité de la construction à ce référentiel via un système de visite rigoureux. En cas d’écart, les non conformités sont étudiées en commission de sécurité maritime (CSM) animée par mon adjoint ingénieur général de l’armement et regroupant l’ensemble des acteurs étatiques, pour exiger si nécessaire des corrections de la part des industriels. Le dialogue avec la DGA et l’état-major de la Marine est permanent, en particulier avec les équipes intégrées en charge des différents programmes.

C. B : Et pour la vérification des caractéristiques militaires ?

CA B. R. : La vérification des caractéristiques militaires comprend deux phases distinctes. La première, sous la responsabilité des équipes intégrées de programme, consiste à vérifier que le produit est conforme à ses spécifications et que la DGA peut le réceptionner puis le transférer à la Marine, avec éventuellement quelques retenues financières si des réserves subsistent. Jusqu’à cette étape contractuelle, le bâtiment reste propriété de l’industriel.

La phase 2 se déroule de la réception à l’ASA. Elle est animée par la CPPE et permet la réalisation d’essais complexes avec un bâtiment appartenant à la Marine, que l’on peut donc pousser dans ses retranchements sans restriction. à ce stade, je m’appuie beaucoup sur les équipages d’armement à qui je fixe des objectifs d’expérimentations – notamment pendant les DLD – et qui me font part de leurs observations. Je conserve également du personnel à bord en permanence et m’y rends aussi souvent que nécessaire pour consolider mon appréciation.

C. B : Combien de personnes travaillent à la CPPE ?

CA B. R. : La commission est composée de 28 marins, dont trois anciens militaires devenus civils et cinq réservistes répartis entre Paris (15) et quatre antennes en Province. Les deux principales se trouvent à Lorient et Cherbourg, près des chantiers de construction navale. Nous avons également une personne à Brest et une à Toulon pour le suivi de programmes particuliers. Tous sont amenés à rayonner sur l’ensemble des sites où sont construits les bâtiments militaires (majoritairement sur la côte Atlantique et en Manche-Mer du Nord) et à embarquer lors des essais.

Les marins affectés sont le plus souvent très expérimentés dans les domaines techniques (expérience embarquée étoffée et qualifications - BS, BM). Les civils possèdent également une expertise de haut niveau dans le domaine de la sécurité maritime (SECMAR). Ce cursus et ces qualités sont indispensables. Au sein de notre équipe, une même passion nous anime : faire en sorte que nos futurs bâtiments soient aptes à remplir l’ensemble des missions qui leur seront confiées. Nous recherchons donc des talents pour embarquer chez nous !

C. B : Quelles sont les principales causes d’un refus d’ASA ?

CA B. R. : Reporter une ASA est une décision collégiale. La raison du report est largement partagée entre tous les acteurs du programme. Elle est le plus souvent multifactorielle, donc difficiles à anticiper. C’est tout l’intérêt de dérouler des essais les plus complets possibles, pour ne pas faire d’impasse. Récemment, j’ai proposé de différer de 6 mois l’ASA du premier SNA type Barracuda (juin 2022 au lieu de décembre 2021), en raison d’un fait technique apparu pendant son déploiement de longue durée. Ce délai a permis à l’industriel d’apporter les corrections nécessaires et le Suffren fonctionne aujourd’hui parfaitement. De même, j’ai préféré attendre la fin de l’arrêt technique du BRF Jacques Chevallier pour corriger les dernières imperfections et proposer son ASA. Elle devrait ainsi avoir lieu courant octobre 2024.

C. B : Comment préserver cette indépendance qui doit caractériser la CPPE en tout temps ? Comment éviter, surtout en période de regain de tension, de subir des pressions pour livrer des bâtiments plus vite ?

CA B. R. : Le positionnement de la CPPE, en lien direct avec le CEMM, est une excellente garantie d’indépendance. J’ai ainsi un donneur d’ordres unique, que je peux conseiller mais qui reste évidemment seul décisionnaire. Par ailleurs, nos processus sont destinés à nous assurer que les exigences opérationnelles et de sécurité sont strictement respectées. Il n’est pas question d’y déroger car ils engagent directement la responsabilité du CEMM et de son délégataire. D’autant plus dans la perspective de la haute intensité : les bâtiments qui seront envoyés au combat doivent être aptes à le mener. Raison pour laquelle je milite pour durcir les exigences opérationnelles des unités potentiellement exposées et conduire les essais dans une logique de fonctionnement de bout-en-bout des différentes chaînes (par exemple mise en œuvre des armes). J’ai ainsi notamment réintroduit des essais de choc sur les frégates de premier rang pour vérifier leur résistance à une agression sous-marine. Ils seront conduits en 2025.

C. B : Avant d’être président de la CPPE, vous avez commandé plusieurs bateaux, en  quoi ces commandements vous éclairent-ils dans votre mission ?

CA B. R. : L’ensemble de ma carrière embarquée m’est particulièrement utile dans mes fonctions actuelles. Mes commandements, comme mes affectations à bord de différentes unités, m’aident à bien mesurer les qualités des nouveaux équipements et à appréhender rapidement les difficultés à surmonter. Je continue également à me déplacer régulièrement. Par exemple, j’étais à bord du BRF Jacques Chevallier lors de son passage du détroit de Bab-El-Mandeb, sous menace houthie. J’ai aussi accompagné le POM Teriieroo a Teriierooiterai dans le grand Sud pour bien évaluer son comportement en mer froide et agitée et j’ai navigué longuement à bord du Suffren avant son ASA.

C. B. : Quelles sont les forces et les points d’amélioration de la Marine ?

CA B. R. : La cohérence du format de la Marine, qui dispose de tout le spectre capacitaire, du porte-avions au patrouilleur, du sous-marin nucléaire aux forces spéciales, constitue une force indéniable. Le savoir-faire et la motivation des équipages font de nous des partenaires fiables et efficaces, très recherchés en opérations. Et nos équipements embarqués sont généralement d’excellente qualité.

Si je devais pointer des points d’amélioration, je citerais volontiers l’autodéfense courte portée des unités, qui a besoin de moyens simples, à bas coût, pour lutter contre les menaces rustiques. Je pense également que la « dronisation » de certaines fonctions, à l’image du conflit ukrainien, constitue une rupture capacitaire qu’il ne faut pas ignorer. Des réflexions sont en cours pour réussir ces mutations nécessaires.

Bio express

1986 : entré à l’Ecole navale

1993 : breveté missiles-artillerie

2003-2005 : officier de programme du porte-avions Charles de Gaulle

2007-2008 : commandant de la frégate de surveillance Prairial

2011-2013 : commandant de la frégate multi-missions Aquitaine

2014-2018 : chef de bureau « Programmes » à l’état-major de la Marine

2018-2021 : chef d’état-major à l’Inspection générale des armées – Marine

2021 : président de la CPPE